mercredi 11 juillet 2007

Morale et politique : l'exemple de Lu Xiaobo

"En Chine, pratiquement tout le monde a le courage de défier sans vergogne la morale. Tandis que rares sont ceux qui ont le courage moral de défier la réalité sans vergogne." Ainsi s'exprime un penseur chinois contemporain, LIU XIAOBO, qui vit en Chine et continue de militer pour l'introduction de la morale dans la vie publique. Il l'a payé très cher : camp de rééducation, grève de la faim, intervention dans la nuit du 3 au 4 juin, place Tien An Men pour empêcher l'affrontement direct entre les soldats et les étudiants, prison dans la fin des année 1980 (il est libéré en 1991). Il aura dit aussi : "Nous n'avons pas d'ennemis ! Ne laissons pas la haine et la violence empoisonner notre sagesse et la démocratisation de la Chine ! Nous avons tous besoin de procéder à un examen de conscience". (Référence dans la note [a].) Cet homme est tout entier plongé dans le réel.
Il est bon de comparer l'attitude de LIU XIAOBO à celle de quelques "intellectuels" français (Roland BARTHES, Philipe SOLLERS, Marcellin PLEYNET, François WAHL, Julia KRISTEVA) qui revenant d'un voyage en Chine en 1974, font écrire par Philippe SOLLERS dans Tel Quel (automne 1974) (référence dans la note [b]) : "La vision du monde religieuse et idéaliste qui a toujours été celle de tous les exploiteurs a un seul ennemi sérieux actuellement : la Chine." Le même, qui manifestement est un génie de lucidité, écrit, alors que la Révolution Culturelle n'a pas fini de faire sentir ses terrifiants effets : "Chez Mao Tsé-toung, matérialisme et dialectique arrivent à un degré jamais constaté de précision, d'efficacité, de clarté." En effet. En effet.
YU LUOKE ne peut plus répondre à ces pantins ridicules : jeune étudiant, il a été arrêté pendant la Révolution Culturelle en 1969, pour avoir dénoncé la théorie de l'origine de classe comme facteur déterminant de la position politique. Il a été fusillé en 1970. Pas davantage ne répondra ZHANG ZHIXIN. Cadre du parti, elle est arrêtée sous LIN BIAO et la Bande des Quatre. Elle est fusillée en 1975, après avoir été violée à quatre reprises par ses bourreaux, qui avant de perpétrer leur forfait lui avaient coupé les cordes vocales. Que dire de KUAI DAFU, meneur de la Révolution Culturelle. Il s'était opposé aux "Groupes de Travail" chargés de neutraliser les "Rebelles" ; arrêté en 1971, il était toujours en prison en 1982, sans jugement. Idem pour NIE YUANGZI, enseigante de philosophie, arrêtée après l'affichage d'un dazibao sur les murs de l'Université de Pékin, en 1966 et qui était toujours emprisonnée en 1982. SHI YUNFENG ne pourra pas davantage leur répondre. Il a été exécuté secrètement en 1977. L'eût-il voulu d'ailleurs, il ne l'aurait pu, car pour l'empêcher de parler ses gardiens lui avait cloué le bec grâce à un fil de fer qui perçait ses deux gencives et sa langue. (Détails de ces faits dans l'ouvrage référencé dans la note [c].) Cela ne dissuadera pas Roland BARTHES d'écrire dans le Monde du 24 mai 1974 [note b] : "De temps en temps, quelques gorgées de thé, une cigarette légère, la parole prend ainsi quelque chose de silencieux, de pacifié, (comme il nous a semblé que l'était le travail dans les ateliers que nous avons visités." C'est beau comme l'antique.
Ces messsieurs et dames, pour ceux qui vivent encore, vont invoquer l'excuse bien connue et très utilisée par nombre de serviteurs de l'ordre nazi : "Nous ne savions pas." Ils ne savaient pas ? Ils ne savaient pas, vraiment ? Mais ont-ils voulu savoir ? Les opposants chinois que je viens de citer étaient encore en prison ou exécutés quand nos "intellectuels" ont bu leur thé, et fumé leurs cigarettes légères. Monsieur BARTHES, paix à ses cendres, concoctait son "Fragments d'un discours amoureux", tandis que dans leur géôle, des milliers d'opposants, torturés, humiliés, attendaient dans l'angoisse le moment de leur exécution. Ces hommes étaient tout entier plongés dans leur idéologie.
Un bon conseil : n'achetez pas, ne lisez pas les oeuvres de ces "intellectuels". Elles défient sans vergogne la morale. Et je doute que LIU XIABAO en recommande l'étude. Elles ne méritent ni haine ni mise à l'index. Seulement l'oubli, et si possible, le pardon.
[a]
Jean-Philippe BEJA.
LIU XIAOBO, le retour de la morale.
In La pensée en Chine aujourd'hui (Anne CHENG, Ed.), chapitre V, pp 135-155. (Folio/Essais, n°486.)
Gallimard, Paris, 2007.
[b]
Jean SEVLLIA.
Le terrorisme intellectuel de 1945 à nos jours. (Collection "Tempus", n° 57.)
Perrin, Paris, 2000 et 2004 pour le deuxième édition.
[c]
LIU QING.
J'accuse devant le Tribunal de la Société. Traduit du chinois et annoté par le Collectif pour l'étude du mouvement démocratique en Chine. Préface de Jean PASQUALINI.
Editions Robert Laffont, Paris, 1972.
PS : je possède et j'ai lu intégralement ou suis en trains de lire [a] tous ces livres.

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