dimanche 30 décembre 2007

Lope de Vega trahi

Du Corneille revu par Beaumarchais et Pantalon. Voilà le sentiment qui m'habite, depuis que j'ai vu hier soir à la Comédie Française Pedro et le Commandeur. Omar PORRAS a orchestré le travail d'une troupe à la vaillance merveilleuse. La pièce est admirablement mise en scène, le jeu des acteurs, poussé à un point parodique extrême, est absolument époustouflant. Ils sont masqués, ce qui accroît la difficulté ; il y a des moments de chorégraphie à l'admirable précision, et des scènes d'un très haut comique. D'où vient mon malaise ? Du parti pris moderno-gaucho-culturellement correcte du metteur en scène. Je le maintiens, c'est du CORNEILLE à la sauce BEAUMARCHAIS assaisonnée par PANTALON. PORRAS a honteusement trahi LOPE de VEGA, le si prolifique SHAKESPEARE espagnol qui connut CERVANTES et Charles Quint.
Omar PORRAS explique le point de vue qu'il a adopté pour réaliser cette oeuvre, selon moi dans un style de Comedia del Arte plus que dans celui de tragi-comédie à la simple et noble grandeur qu'avait voulu l'auteur. Il a le droit d'adapter ; nul ne le lui conteste. Mais la pièce qui nous est présentée n'est pas de LOPE de VEGA, elle est une pantalonnade d'après une tragi-comédie de LOPE de VEGA.
Dans ce cas, on peut comprendre les Travailler plus pour gagner plus ou Autant en emporte le vent qui émaillent le monologue de tel ou tel acteur ainsi que toutes autres saillies impromptues et incongrues et qui se veulent spirituelles. Mais je doute fort que LOPE de VEGA ait inclus ces gloses marginales et subalternes dans son texte.
Juger les moeurs de la Renaissance Espagnole finissante avec les yeux du vingtième siècle, faire de LOPE de VEGA un précurseur des Philosophes des Lumières est d'un anachronisme criant, et témoigne d'une haute inculture, à moins que ce soit une imposture intellectuelle. Prétendre, parce qu'on en connaît aujourd'hui l'histoire, que le Royaume d'Espagne était en pleine décadence, c'est de la divination a posteriori. Avec quels yeux faudrait-il alors que nous jugions l'état de notre civilisation actuelle ? En cette fin de seizième siècle, l'Espagne était chrétienne ; elle se souvenait de Paul de Tarse ("il n'y a plus ni hommes libres, ni esclaves...") ; la controverse de VALLADOLID, tout à l'honneur de certains clercs, avait confondu le prélat qui déniait aux indiens d'Amérique du Sud la possession d'une âme. Et le meurtre d'un noble libidineux par un paysan, jeune marié fidèle, et qui défend son honneur, que narre LOPE de VEGA n'est que l'illustration d'un principe toujours défendu par les saints : aux yeux de Dieu, tous les hommes se valent. Voilà dans quelle perspective LOPE a écrit sa pièce qui donne à l'honneur, si cher aux espagnols, une place prépondérante. Faut-il ajouter qu'au moment d'expirer, le Commandeur qui voulait abuser de la femme de son paysan alors qu'il était absent, CONFESSE SON PECHE ET EN DEMANDE PARDON A DIEU AUTANT QU'AUX HOMMES ? Voilà ce qu'est cette pièce, et non pas la traduction de la lutte des classes et de la victoire du Peuple qu'Omar PORRAS se complaît à chanter. Je reviendrai sur cette question, si importante pour le devenir de notre société.

1 commentaire:

CLEMENT a dit…
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