mercredi 29 août 2007

Gros animal social

Lue récemment dans l'introduction de Gustave THIBON au livre de Simone WEIL, La pesanteur et la grâce (Plon, Paris, 1947), cette remarque : "Tant que l'homme ne consent pas à devenir rien pour être tout, il a besoin d'idoles. 'L'idolâtrie est une nécessité vitale de caverne' (dit Simone WEIL). Et parmi ces idoles, celle du social, de l'âme collective est la plus puissante et la plus dangereuse. La plupart des péchés se rapportent au social ; ils sont dictés par la soif de paraître et de dominer. Ce n'est pas que Simone WEIL rejette le social comme tel ; elle sait que le milieu, la tradition, etc. constituent des ponts, des 'metaxu' entre la terre et le ciel ; ce qu'elle repousse, c'est la cité totalitaire, symbolisé par le "gros animal" de Platon et la Bête de l'Apocalypse dont la puissance et le prestige usurpent dans l'âme la place de Dieu. Qu'elle se présente sous l'aspect conservateur ou sous l'aspect révolutionnaire, qu'elle consiste à adorer la cité présente ou la cité future, l'idolâtrie du social tend toujours à étouffer et à remplacer la vraie tradition mystique.
Et de citer encore Simone WEIL : "Rome c'est le gros animal athée, matérialiste, n'adorant que soi. Israël, c'est le gros animal religieux. Ni l'un ni l'autre n'est aimable. Le gros animal est toujours répugnant".
Ces réflexions incitent à nous méfier de tous les fondamentalismes, politiques ou religieux, et à chercher ailleurs que dans le politique ou le culte élevé à la hauteur d'un rite social, les raisons de vivre, d'agir et d'aimer. Ces raisons, nous les trouvons dans la réponse personnelle que nous faisons aux questions soulevées par la vie. L. WITTGENSTEIN disait quelque chose de juste à ce sujet : "Il y a assurément de l'indicible, il se montre, c'est le Mystique" (Tractatus logico-philosophicus. Gallimard, Paris, 1993). Sans le savoir, il désignait et l'oeuvre et la personne de Simone WEIL.

vendredi 17 août 2007

Ariane a perdu le fil

Madame Ariane MNOUCHKINE, dont nul ne conteste le talent de metteur en scène au théatre, aurait-elle perdu la tête et, avec elle, le fil qui l'a guidé jusqu'à la cartoucherie de Vincennes ? Dans un geste de résistance beau comme l'antique - on croit entendre Caton l'Ancien - madame MNOUCHKINE a refusé d'être nommée Professeur de Création Artistique au Collège de France, au prétexte qu'elle l'aurait été par Nicolas SARKOZY, ce que sa conscience de gauche ne saurait accepter. Que c'est beau la résistance aux actes d'un Président élu démocratiquement par la majorité des Français !
Il y a un hic, que voici. (a) C'est le Collège des Professeurs du Collège de France qui décide du nom de la chaire à pourvoir et en désigne le bénéficiaire. Ce dernier est tenu au courant de la procédure et il est averti avant transmission de la décision à la Présidence de la République. Madame MNOUCHKINE ne pouvait pas ignorer qu'elle avait été choisie. Elle avait certainement donné son accord, condition préalable à la poursuite du processus. (b) Seul le Président de la République a le pouvoir de signer les decrets de nomination des Hauts Fonctionnaires, y compris les Professeurs des Universités et assimilés.
La belle réaction de madame MNOUCHKINE est liée à la publication d'un article par Libération, lequel, dans un saisissant raccourci, annonce qu'elle a été nommée par Nicolas SARKOZY. C'est donc pour ne pas décevoir son public d'admirateurs inconditionnels, pour ne pas donner l'impression qu'elle aurait cédé aux sirènes sarkozystes, qu'elle a été amené à refuser cette nomination. Toutefois, le refus est accomodé de considérations notablement modulatrices qui donnent à la résistante la possibilité de revenir sur sa décision. Je verrai bien sur les emplois du temps du Collège de France, Institution que je fréquente avec assiduité, si madame MNOUCHKINE donne son cours. Il y a fort à parier que oui.
Tout cela est pitoyable et me semble relever d'un sectarisme invraisemblable, d'une hypocrisie insupportable, et surtout d'un incroyable mépris de la démocratie.
"Ariane, ma soeur, de quelle amour blessée, vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ?" se déclinerait plus justement en
"Ariane, ma soeur, de quelle rage emportée, vous mourûtes en scène où l'on vous a piquée ?"