mercredi 19 mars 2008

La Révolution française, une crise mimétique sans solution

Le concept d'égalité tel que l'ont conçu dans leur cerveau les grands guillotineurs de la Révolution (Robespierre, Danton, Marat) est un concept totalitaire, générateur de violence et de sacrifice victimaire, le produit d'un conflit mimétique qui restera à tout jamais sans solution.
Je dois m'expliquer, car voilà qui peut paraître un peu trop asséné. Il se peut que cela me demande plusieurs billets
1-Tout d'abord, il convient ici de rappeler la thèse qu'a exposée René GIRARD et que chaque progrès en ethnologie, en critique littéraire, en anthropologie, ne fait que confirmer. On ne désire que le désir de l'autre, et ce désir est d'autant plus fort que cet autre nous ressemble. Dans une société indifférenciée, cette rivalité mimétique exacerbée conduit à la violence généralisé, et le calme ne revient qu'après le lynchage collectif d'un innocent, d'un bouc émissaire, choisi arbitrairement et perçu comme coupable. Son sacrifice ramenant le calme dans la communauté, la victime est déifié. Il en résulte (a) la création d'une religion, dans laquelle la réitération du sacrifice est censée ramené la paix toute les fois que la crise mimétique menace et (b) l'élaboration de mythes qui dissimulent l'origine sanglante de la religion. Ce processus est appelé mécanisme victimaire. Il ne fonctionne que dans la mesure où l'on est persuadé de la culpabilité de l'innocent. L'irruption dans l'histoire de Jésus de Nazareth vient briser à tout jamais l'efficacité du processus victimaire, car la Passion de Jésus est racontée du point de vue de l'innocent, et à la prophétie de Caïphe "Il est bon qu'un seul homme meurt pour plusieurs", vient répondre la terrible parole de Jésus : "Vous êtes nés tout entier dans le sang. Vos pères ont tué les prophètes", et plus tard tard, sur la croix : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font".
2-Quelques menus faits pris dans l'histoire (la grande et la petite) montrent comment fermente au XVIIIe siècle la crise mimétique, et comment croît et s'établit l'indifférenciation, préalable à toute explosion de violence collective. A RIVAROL qui déclare à un aristocrate "Nous, les Nobles", le seigneur ainsi apostrophé répond : "Voilà un pluriel qui me paraît bien singulier". Dans les cahiers de doléances qui précèdent les États Généraux, H. TAINE (In Les origines de la France contemporaine) relève la plainte d'un collège de la noblesse établie dans un bailliage de l'Ouest : les nobles se plaignent de n'être plus distingués des membres des autres ordres, et réclament le droit d'ajouter un signe distinctif à leurs vêtements. Le duc d'Orléans, cousin de Louis XVI se fait appelé Philippe-Egalité, et vote la mort du Roi (il sera quand même décapité, comme quoi l'ambition malveillante n'est pas forcément le moyen du succès). On ne s'appelle plus monsieur ou madame, pendant la Révolution, mais Citoyen. La cathédrale de Strasbourg ne doit d'avoir conservé sa flèche qui heurtait le sens de l'égalité qu'au sang froid d'un citoyen qui "républicanise" la dite flèche en la coiffant d'un bonnet phrygien. La Révolution est un grand carnaval sanglant, une sorte de crise bacchique, si bien analysée par René GIRARD dans La Violence et le Sacré. La paix civile revient avec le Grand Tyran, qui a détesté la France avant de la soumettre, BONAPARTE. Et l'un des premiers gestes de ce catastrophique empereur est de rétablir la différenciation sociale par la création de la noblesse d'empire, et d'instaurer une sorte de conscription pour externaliser la violence par la guerre, conduire à la mort deux millions de jeunes Français, et laisser notre patrie plus petite qu'il ne l'avait trouvée. A ce point du raisonnement, il est intéressant de noter (a) que ROBESPIERRE a bien tenté, peu avant Thermidor, d'instaurer une nouvelle religion, celle de la déesse Raison, au cours d'un culte qui scella sa perte ; (b) que le conventionnel BAUDOT suggéra de remplacer la religion catholique par la religion réformée ; (c) qu'Edgard QUINET dans son remarquable ouvrage sur la Révolution indique que faute d'avoir pu instaurer un nouvel ordre religieux, au prix d'une violence qui va jusque au bout, le nouveau régime ne pouvait durer. Sa cruauté était non seulement inutile, mais inefficace. Et il observe que cette "faiblesse" n'est pas due à un manque de volonté mais à un manque de "clairvoyance" de la part des révolutionnaires.
Tout se passe comme si la mort injuste du juste Louis XVI (on l'a ridiculisé après son exécution par le même mécanisme que celui du mythe fondateur de toute religion qui voile le meurtre originel) n'avait pas pu rétablir la paix parce que le mécanisme victimaire ne fonctionne plus depuis le dévoilement christique, et que la crise mimétique a été durablement installée en France, aujourd'hui encore, sans autre solution possible que la lutte violente entre des clans absolument identiques (du point de vue de leur structure) ou le retour à une paix authentique et non violente, par la reconnaissance de la ressemblance (mêmeté) et de la dissemblance (ipséité) réelles des personnes. A la ressemblance-dissemblance réelle se heurte violemment l'égalité rêvée, idéale, idéologique, qui ne peut que déboucher sur la violence.
La suite demain.

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