mardi 4 mars 2008

René Girard, encore

René GIRARD vient de faire paraître un livre qui, curieusement, n'a pas eu le retentissement qu'il aurait dû avoir. Je n'ai pas encore achevé sa lecture, mais je voudrais vous donner un extrait de l'Introduction de ce livre essentiel. Il explique en partie l'énervement qui m'a saisi devant la réaction de monsieur DRAY aux propos de Nicolas SARKOZY sur la religion. Mais, à la décharge de monsieur DRAY, il faut dire que les religions qu'il déteste sont les religions qui ont gardé le statut de religions sacrificielles archaïques, et qu'il lui manque (en tout cas je l'espère) la connaissance du message christique.
"Le christianisme est un meurtre fondateur à l'envers, qui illumine ce qui doit rester cacher pour produire les religions rituelles sacrificielles. C'est lui que Paul compare à une nourriture pour les adultes, par contraste avec la nourriture pour les enfants qu'étaient encore les religions archaïques. Nietzsche lui-même a parfois des intuitions de ce genre à propos du 'caractère enfantin' des Grecs. Mais pour rendre la situation encore plus démente, la révélation chrétienne est la victime du savoir paradoxal qu'elle apporte. ON LA CONFOND DE MANIÈRE ABSURDE AVEC LE MYTHE, que visiblement elle n'est pas, doublement méconnue ET PAR SES ENNEMIS ET PAR SES PARTISANS, qui tendent à la confondre avec une de ces religions archaïques qu'elle démystifie. Or TOUTE DÉMYSTIFICATION vient du christianisme. Mieux encore : le seul religieux vrai est celui qui démystifie les religions archaïques."
C'est pourquoi dans l'un de mes billets j'avais dit que Jésus est venu démolir toutes les religions et non point en créer une nouvelle.
René GIRARD dira un peu plus loin : "Il y avait déjà quelque chose de chrétien dans tous les mythes. Mais en révélant l'innocence des victimes, la PASSION rend positif ce qui était encore négatif : on sait dorénavant que les victimes ne sont JAMAIS COUPABLES." Voilà pourquoi ceux qui condamnent l'initiative du "faire mémoire" des enfants juifs persécutés, massacrés, anéantis par les nazis, sont exactement dans la situation de ne pas vouloir rendre visible cet inimaginable meurtre fondateur d'une impossible nouvelle religion, mais sont dans une contradiction dont ils ne peuvent sortir, car c'est l'innocence des victimes révélées par Jésus qui leur font repousser avec horreur les nazis et leur (au singulier) abominable crime. Si CETTE RÉVÉLATION FONDAMENTALE n'avait pas fait irruption dans l'histoire des hommes, jamais la shoah n'aurait suscité en nous l'effroi qui nous saisit quand on en voit les traces et les effets. (Les Assyriens n'ont jamais protesté contre les atrocités que leurs rois commettaient contre les habitants des cités vaincues ; et les compagnons de Gengis Khan ou de Tamerlan ont pu édifier sans s'émouvoir de sanglantes pyramides avec les dizaines de milliers de têtes de leurs ennemis qu'ils décapitaient bien que le souverain leur eût promis la vie sauve s'ils se rendaient !). En somme, monsieur DRAY ne voit pas que le message de JÉSUS, vécu, voulu, aimé, propagé, est le seul message susceptible de nous faire échapper au cycle de la violence infinie, et de nous soustraire aux terribles futurs que nous sommes en train de nous prépare nous-mêmes par notre aveuglement. Je n'ai malheureusement pas la place d'être plus explicite ; je voudrais simplement être compris : la solution de monsieur DRAY est une fausse solution, et elle précipite notre mouvement à l'abîme. Je maintiens ma sympathie pour sa personne, mais mon aversion pour ses analyses.
Lisez ce livre ! Exceptionnel.
René GIRARD.
Achever Clausewitz.
Carnets Nord, Paris, 2007.

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