mercredi 30 avril 2008

Un mythe qui a la vie dure

Journal Télévisé d'hier soir. Harry ROSELMACK évoque la réforme de l'enseignement primaire décidée par Xavier DARCOS, et fait projeter quelques éléments de cette réforme, des grilles horaires hebdomadaires, où il paraît que le français et les mathématiques occupent une place prépondérante. Sans avoir donné le moins du monde la parole au ministre, il enchaîne :"Tout de suite les réactions". Celles-ci sont au nombre de deux, parfaitement contradictoires quoique résolument hostiles à la réforme. Monsieur ROSELMACK eût donc été bien inspiré de dire : "Tout de suite deux réactions" ou "tout de suite des réactions". Passons sur le mensonge par le viol de la langue : par chance, nous avons en français des articles définis, et des articles indéfinis. C'est l'article indéfini qui devait être employé.
Parmi les deux réactions, celle de mademoiselle ou madame DUCAMP, répondant au beau prénom (si je me souviens bien) d'Aurore. Il est évident que ce professeur des écoles aime son métier et qu'elle a le désir de faire le mieux possible. Mais que dit-elle exactement ? Que l'on va exactement à l'encontre de la réforme inaugurée il y a quelques années, et aujourd'hui enterrée, qui voulait "que l'enfant construise lui-même son savoir".
Nous crevons de cette chimère. En trois arguments, je vais essayer de le montrer.
(a) Il n'y a pas d'autoconstruction du savoir. C'est tout simplement, au mieux, un mythe, au pire un mensonge avéré. Est-il possible qu'un enfant autoconstruise son savoir sur la langue si on ne lui propose pas des mots, des textes, un vocabulaire, une grammaire ; et sur les mathématiques si on ne lui fait pas apprendre par coeur les tables de multiplication, les opérations arithmétiques élémentaires, des éléments de géométrie ?
(b) Le propre de la culture c'est la transmission. Et pour qu'il y ait transmission, il faut qu'il y ait modèle. Faute de modèle, faute de repères culturels, il n'y a aucune inculturation possible. La culture peut être définie comme l'ensemble des pratiques artistiques, littéraires, sociales, esthétiques, politiques, etc. accumulées par l'expérience des générations passées et augmentée de celle de la génération aux affaires, transmis aux nouvelles générations pour leur éviter d'avoir à refaire tout le chemin de l'humanité dans son effort incessant d'humanisation. Je suppose donc qu'Aurore DUCAMP utilise le mot autoconstruction du savoir dans un sens dévié. Que les enfants aient des dons, des envies, des désirs très différents les uns des autres est une évidence. Il est donc important que ces désirs rencontrent des modèles. C'est du reste en fonction des modèles qui leur sont présentés que les uns désirent devenir pompier, les autres astronautes, d'autres enfin, médecins, etc. En somme, l'autoconstruction se résume au choix d'un modèle de savoir parmi de nombreux possibles, et ce choix est dicté par de très nombreux facteurs, qui vont des aptitudes de l'enfant, au désir des parents, en passant par l'environnement social ou économique, la famille et ses traditions. Je ne pense pas qu'un esprit droit puisse contester ces données. En d'autres termes, il n'y a pas d'autoconstruction du savoir. Son acquisition est déterminée, voire surdéterminée et elle se fait à partir de modèle.
(c) La grande et ultime duperie de l'idéologie des Lumières est de faire croire à l'autonomie du désir. Mais il n'y a pas de désir autonome, et nous ne désirons que ce qui nous est désigné comme désirable. Bien plus, nous désirons jusqu'au désir de l'autre. Les analyses de René GIRARD sont là-dessus lumineuses, plus que celles de FREUD. Il appartient aux enseignants de susciter le désir d'apprendre et non de feindre qu'il naît spontanément dans le psychisme des enseignés. Certes, il convient de tenir compte de la personnalité de l'enfant, de son histoire personnelle, de ses aptitudes. Mais les enseignants, dont je fis partie, doivent offrir le meilleur, le plus exigeant aux jeunes qui leur sont confiés.
Pour terminer, une anecdote personnelle. Pendant les trois dernière années de ma vie d'enseignant, j'ai donné, bénévolement je précise, des cours de Biologie Générale aux jeunes gens et jeunes filles qui préparaient le Diplôme d'Accès aux Études Universitaires. D'origine modeste, voire très modeste, issus des quartiers sensibles ou difficiles, ils suscitaient mon émerveillement par leur désir d'apprendre. Je ne cessais de leur dire qu'il est nécessaire de bien posséder la langue, d'enrichir son vocabulaire, car la langue est la clé de voûte de l'échange, de la paix civile, et de la réussite de sa vie. Un jour, l'un d'eux m'interrompt et me dit, les yeux remplis de joie et de malice : "m'ssieur, j'ai épaté mes copains. J'ai utilisé le mot "fallacieux". Ils ne savaient pas ce que ça voulait dire, et JE LEUR AI EXPLIQUE". (J'avais utilisé ce mot dans un de mes précédents cours.)
Oui, maîtriser la langue est plus important que de bidouiller sur internet, que gratter de la guitare électrique, ou que de gagner aux jeux vidéo, et que de proclamer l'autoconstruction du savoir.

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