jeudi 24 juillet 2008

De l'eau au moulin de Sylvain Gougenheim

Il y a des coïncidences qui ressemblent à des interventions inspirées de la Providence. Je rangeais ma bibliothèque ; j'ai déjà eu l'occasion de dire à mes lecteurs que je suis un amoureux de l'Orient, de la Méditerranée à la Mer de Chine. Et, ouvrant par hasard un beau volume relié, je tombe sur un mémoire du Père Henri CHARLES, publié en 1936, à la Bibliothèque des Hautes Études, Section des sciences Religieuses, en son LIIe volume. Il a pour titre Le Christianisme des arabes nomades sur le Limes et dans le désert syro-mésopotamien aux alentours de l'Hégire, et il a été édité chez Ernest Leroux, à Paris.
Je feuillette et j'y apprends deux choses : la première c'est qu'il y avait un nombre incroyable d'évêchés jacobites et nestoriens sur le pourtour du désert, et que l'on connaît parfaitement le nom et la succession de leurs évêques. Le dernier évêque dit "évêque des Arabes" s'appelle Athanasius, un nom d'origine grecque, et qui signifie immortel. D'autres évêques ont des noms latinisés ou gréco-latinisés (Domitius, Sergius, Severus, Paulus, Lazartus, Georgius, etc.), d'autres, des noms sémitiques (Habib, Sabra, Gauri, Arabi, Maqim, etc.) Ces évêques ont siégé entre, grosso-modo, 600 et 923, date à laquelle on perd la trace du très important évêché des Arabes nomades du SINJÂR du Sud. La seconde information, c'est qu'au XIe S., nombre de chrétiens arabes ont été martyrisés par leurs compatriotes musulmans. Ainsi, Mohammed général musulman dans la tribu des TAYÂYE s'est mis en tête de faire apostasier de force ceux des TAYÂYE restés chrétiens. Il fait venir le chef du clan des TAGLIBITES qui en est un et veut le contraindre à renier sa foi. MOAD, tel est son nom, refuse ; il est torturé, puis tué et l'on interdit de l'ensevelir. Son corps gît sur le fumier. Il ne se décompose pas et n'est pas dévoré par les animaux. C'est EUSTHATIUS, évêque jacobite de DARA qui demande son corps et bâtit un monastère au-dessus du tombeau du saint martyr. Un autre de ces excellents chefs musulmans qui incarne l'arabité telle que l'imaginent les contempteurs et censeurs de Sylvain GOUGENHEIM, un chef répondant au nom de WALID, fait venir SAMALAT, un notable du clan des TAGLIBITES ; mêmes menaces ; même refus ; même punition. Le saint confesseur est traîné visage contre terre, puis on lui coupe un morceau de cuisse, on le fait cuire sur le feu et on oblige SAMALAT à manger sa propre chair. SAMALAT survit, on se demande comment, à ce traitement. Voilà un autre bel exemple de l'arabité. (En vérité, cette notion est dépourvue de toute signification ; il aurait été plus juste de parler de musulmanité.) Nous devons ces données à Michel le SYRIEN et à un philosophe arabe chrétien, BAR HEBRAEUS. (Ces auteurs sont des sources précieuses pour la connaissance de l'histoire culturelle et religieuse du Proche et du Moyen-Orient.)
Je tire de ce livre deux conclusions tout à fait fondées scientifiquement. (a) Les arabes étaient majoritairement chrétiens avant l'apparition de l'Islam. Le plus grand nombre d'entre eux l'est resté pendant au moins quatre siècles. Il a fallu les persécutions et les massacres pour convertir de force les récalcitrants. Il en est resté suffisamment pour former des communautés chrétiennes confessantes, qui subistent encore aujourd'hui en IRAK, en SYRIE et au LIBAN. (b) Les noms des évêques indiquent qu'ils étaient pour la plupart en relation avec le monde hellénophone ou latinophone. Par ailleurs, les chrétientés arabes, florissantes il faut bien le souligner, étaient fortes de très nombreux moines qui passaient une partie de leur temps à l'étude. Et, bien que mon livre soit sur ce point muet, on peut imaginer qu'outre les livres saints, ces moines s'intéressaient à la philosophie spéculative grecque, dont ARISTOTE. D'où il appert que Sylvain GOUGENHEIM n'a dit que la vérité, et que ses détracteurs sont des ignares et des idéologues, qui confondent arabes et musulmans. Ne tombons pas dans cette sinistre erreur. Elle est grosse de violence et de racisme. Et puis, pendant que j'y suis, je renvois le Père DELORME à ces travaux-là. Lui aussi verra l'erreur de perspective énorme qu'introduit cette confusion : tous les arabes ne sont pas musulmans, et tous les musulmans ne sont pas arabes. Je reviendrai sur ce point fondamental. Et je dirais encore que (quoiqu'en pense NASSIM) j'ai un très grand respect, que dis-je un grand amour, pour tous ces savants arabes, chrétiens ou musulmans, qui ont, avec d'autres (des grecs, et des irlandais sans doute) contribué à nous transmettre le patrimoine d'ATHENES.
Je prends les paris. Nous verrons l'Arabie revenir à ses premières amours, et sans doute plus tôt que nous ne le pensons.

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