samedi 23 août 2008

L'encyclique et Galilée

Une fois de plus, un de mes lecteurs, par ses remarques très judicieuses, que tout un chacun peut lire dans les commentaires, me force à rentrer en moi-même pour trouver les raisons qui m'ont fait, dans le billet "A mon frère", rapprocher l'encyclique Divino Afflante Spiritu et l'affaire GALILEE/COPERNIC. J'indique tout de suite que je désire point faire d'apologétique de mauvais aloi, mais expliquer le plus clairement possible les liens entre les deux événements, ce que - dans ma précipitation - je n'ai pas su exposer. Jusqu'à cette encyclique, les exégètes n'avaient pas la possibilité d'appliquer la méthode historico-critique à la Bible. En indiquant que toutes les sciences historiques, philologiques, linguistiques, devaient concourir à une meilleure compréhension du sens littéral des textes bibliques, étudiés dans leur langue originelle, PIE XII libérait les exégètes de l'opinion traditionnelle, admise jusque là de l'historicité de textes manifestement mythiques, ou cosmogoniques. Il devenait donc possible de comprendre que la Genèse n'était pas un récit historique, parce que l'auteur, dans le sens littéral, ne voulait pas faire oeuvre d'historien, mais raconter CE QUE SON ÉPOQUE croyait de la création du monde. La découverte de l'épopée de GILGAMESH avait déjà sérieusement entamé la croyance en la véracité historique du mythe, très répandu, du déluge. Et par ailleurs, les textes mésopotamiens mythico-religieux avaient nombre de points communs avec les textes bibliques. Mais à une différence de taille près. Alors, et c'est là un exemple parmi d'autres, alors que tous les textes mythiques sumériens, babyloniens ou assyriens, présentent le Soleil et la Lune comme des DIEUX, la Genèse est le seul texte qui les présentent pour ce qu'ils sont : des luminaires pour éclairer le jour ou la nuit. Qui, en toute bonne fois, ne voit pas le progrès considérable de l'esprit humain dans ce constat ? On est un peu plus près du réel. On pourrait évoquer aussi l'épisode de CAIN et ABEL, si bien analysé par René GIRARD. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, un texte d'essence religieuse présente un meurtre pour ce qu'il est, et montre un Dieu qui rompt de cycle de la vengeance circulaire et indéfinie, en promettant le châtiment à ceux qui voudraient venger le sang d'ABEL sur CAÏN. Quel progrès !
Quel rapport avec GALILEE ? Il est simple. GALILEE prétendait que la Bible se trompait, que la Terre tournait autour du Soleil et non le contraire. C'est PARCE QUE GALILEE CROYAIT A L'HISTORICITE DE LA GENESE qu'il a été condamné, car il la taxait d'erreur historique et scientifique. Il est évident que si l'on avait eu, à l'époque, l'instrument forgé grâce à l'encyclique, on se fût aisément mis d'accord sur le caractère mythique de la Genèse.
Mon correspondant me demande, fort justement ce qu'un mythe est dans mon esprit ? Et ce qu'il est en réalité. Selon moi, un mythe est un récit qui traduit en des termes imagés et à forte valeur symbolique, d'antiques expériences humaines de nature religieuse. Le dictionnaire Robert donne du mythe la définition suivante : Récit fabuleux transmis par la tradition, qui met en scène des êtres incarnant sous une FORME SYMBOLIQUE des forces de la nature, des aspects de la condition humaine. On voit que ma définition n'est pas si éloignée de celle-là.
Pour comprendre une époque, il faut utiliser les instruments qu'elle avait elle-même à sa disposition pour se décrire et se parler. J'ai évoqué l'histoire de la génération spontanée et des luttes littéralement acharnées auxquelles cette théorie donna lieu. Si l'on veut comprendre ces faits, il est impossible de le faire avec nos catégories actuelles. Il faut se mettre dans l'esprit du savant de l'époque, à qui il manque les instruments (microscope puissant, méthodes d'isolement et de culture des micro-organismes, biologie moléculaire) pour aborder convenablement la question, et qui, en esprit objectif, s'en tient à ce que lui disent ses sens. On sait plus précisément aujourd'hui combien les sens peuvent nous tromper. Il n'empêche que sans leur témoignage, la science n'aurait jamais atteint son développement actuel. J'ai parlé ici de GALILEE, plus que de COPERNIC ; avec moins de hargne, mais autant de détermination, sa théorie de l'héliocentrisme fut condamnée par le Pape PAUL V. La différence est qu'il ne fut pas obligé d'abjurer. COPERNIC avait du reste pris discrètement parti pour GALILEE.
PS : je répondrai par un autre billet au même correspondant sur la pensée moderne comme pensée pré-totalitaire. Là, je dois dire que je ne partage pas du tout ses objections...

2 commentaires:

Roparzh Hemon a dit…

Cher interlocuteur,

je vous remercie d'avoir une fois de plus consacré un nouveau billet à la réponse à
mon petit commentaire. Maintenant que la question s'oriente plus vers GALILÉE, il me manque un peu de connaissances sures pour continuer cette partie du débat. Bien sûr, cette condamnation de GALILÉE est une véritable "tarte à la crême" de la culture d'aujourdhui, et comme vous je suppose j'ai lu des dizaines de textes sur le sujet dans un sens ou dans l'autre, sans que j'arrive à aucune conclusion définitive. La seule chose qui m'ôterait tous mes doutes, ce serait d'appliquer la bonne viellle méthode historique (on y revient!) : lecture des documents originaux, textes de GALILÉE et de l'inquisiteur (je ne me souviens plus de son nom à cet instant). Un jour, peut-être, quand j'aurai le temps ...

Je peux néanmoins vous répondre sur quelques autres points :

1) À mon avis, l'image d'Épinal du catholique anti-scientifique et irrationel est un mythe (cette fois dans le sens péjoratif) créé par les anti-catholiques, et votre opinion que "Jusqu'à cette encyclique, les exégètes n'avaient pas la possibilité d'appliquer la méthode historico-critique à la Bible " est sans fondement. Si je me souviens bien, le livre de Jean DUMONT "Erreurs sur le mal français" contient beaucoup d'informations à ce sujet.

2) Je reviens à la charge avec cette histoire de mythe : pour vous, un mythe est-il hypothétique ou non ?

Bien cordialement.

Philippe POINDRON a dit…

Cher interlocuteur,

Pour ce que je puis en savoir, Galilée a été condamné pour avoir dit que la Terre tournait autour du soleil et sur elle-même, et en avoir déduit que la Bible se trompait qui laissait supposer que la terre était au centre de l'Univers. Il me paraît évident que si Galilée n'avait pas cru que la Genèse avait un sens historique, ses constatations ne l'auraient pas poussé à cette conclusion sur l'erreur. Je n'affirmerai pas qu'il l'a dit expréssément, mais il l'a laissé entendre.
Effectivement, les exégètes ne pouvaient pas, je le maintiens avec toutes les nuances qu'il faut, appliquer cette méthode. La crise avait commencé avec l'abbé LOISY (crise du modernisme) qui, lui, avait appliqué la méthode hypercritique et avait laissé aux textes bibliques bien peu de substance non seulement historique mais spirituelle ou mystique. Le Père LAGRANGE, fondateur de l'Ecole Biblique de Jérusalem, un remarquable spécialiste des langues anciennes du Proche et Moyen-Orient, un archéologue, un historien de très haute volée a dû cesser ses travaux et a été rappelé en Europe par son supérieur. On le soupçonnait de modernisme (au sens de LOISY). On prépare aujourd'hui son dossier de béatification... Les temps changent.
Ainsi que je l'ai dit, un mythe est un récit qui reprend d'antiques traditions à forte couleur symbolique portant sur la genèse du monde, sur la mort, sur les dieux. Il n'est donc ni hypothétique, ni historique. Il raconte ce que pense sur ces sujets la société dans laquelle il a été élaboré. En d'autres termes, comme tout symbole, le rapport entre le signifiant (la forme littéraire du mythe) et le signifié (le sens mystique, et quelquefois ésotérique) est parfaitement arbitraire. Et c'est pourquoi il existe de multiples cosmogonies, par exemple, ou de textes mythiques sur les héros fondateurs qui racontent quelque chose de vrai mais dans l'ordre de l'esprit ou du sens, non dans celui de l'histoire. René GIRARD ajoute que la fonction du mythe est de raconter le meurtre fondateur et la naissance sacrificielle et sanglante des religions, en masquant le versement du sang innocent (ce que précisément, avec ABEL, la Bible ne fait pas).
Je ne sais si mes pauvres explications vous satisfont. Du moins ai-je essayé de les rendre les plus claires possibles.
Amicalement.

Philippe POINDRON