mercredi 26 novembre 2008

Une question de fond

Je vous disais dans le dernier billet que je parlerais du livre sensationnel de Marcel GAUCHET, Le désenchantement du monde. Je n'ai pas la prétention de le résumer en cinq lignes. La pensée en est tellement dense, riche, subtile, qu'il faut ruminer chaque page, s'en laisser imprégner.
Quand même, je voudrais indiquer que, selon Marcel GAUCHET, la naissance de l'Etat (qu'il ne cherche pas à expliquer comme le ferait un René GIRARD) a introduit l'autre et l'altérité dans le monde visible, au coeur de la société. La hiérarchie, puis la domination, puis l'expansion conquérante ou désir conquête ont transformé le rapport de dépossession initial entre l'univers des vivants et son fondement posé comme extérieur à lui, en un rapport de dépossession autre, qui passe par la différenciation sociale. Expulsant ainsi le sacré originel, fondamentalement conservateur et reproducteur de l'identique, la création de l'Etat a rendu possible la transformation du monde, la création des religions (ça c'est moi qui l'ajoute ; c'est la conclusion logique, voir ci-après) mais aussi l'instauration de rapports sociaux qui permet à certains - les chefs, les rois, les empereurs, les présidents - de se poser comme dépositaires de la norme sacrée, et s'arroger le monopole du principe d'ordre collectif (cette expression est de l'auteur). Il n'en allait pas ainsi dans les sociétés primitives d'avant l'Etat. Nul ne pouvait se prévaloir d'un quelconque pouvoir ; il était tout donné d'en haut, de l'extérieur. L'égalité des membres du grouoe était absolue en face du fondateur. Le développement du système étatique à abouti à "la mort de Dieu", en tant qu'extérieur au monde des vivants-visibles, et la prise en compte exclusive du fait humain-social constituant.
Il m'apparaît intéressant de rappeler ici que Simone WEIL, dans La pesanteur et la grâce a fustigé le gros animal social. Avait-elle la préscience ou l'intuition des ravages que le système allait faire chez les hommes ? Et n'est-ce pas cette raison qui l'a poussé à épouser pendant près d'un an la condition ouvrière, groupe humain privé de tout pouvoir normatif sur la société ? Et n'est-ce pas encore cette intuition obscure qui en a fait une très grande mystique ?
Je trouve aussi qu'il y a une très grande complémentarité de la thèse de Marcel GAUCHET avec celle de rené GIRARD. Leur complémentarité permet du reste, selon moi, de trouver une issue au dilemne de nos civilisations occidentales contemporaines. En schématisant, on peut dire que René GIRARD dit de Jésus-Christ qu'il est venu détruire toutes les religions. En ce sens, le christianisme a contribué à démythifier la société. Il est venu remplacer les religions par une parole qui ne vient pas détruire le fait social, bien au contraire, mais, séparant le domaine de César de celui de Dieu, réaffirme le droit de tout être humain à placer l'obéissance à Dieu au-dessus de l'obéissance aux hommes, souligne la nécessité de tenir son prochain pour un égal de soi-même, et vient déposséder par conséquent le politique de son pouvoir d'établir une norme sacré. Le disciple est dans le monde ; il n'est pas du monde.
Voilà le résultat de mes premières réflexions.
Je termine en vous citant les premières lignes du livre de Marcel GAUCHET :
Existe-t-il quelque chose comme une fonction religieuse, subdivision de la fonction symbolique, organisant à côté de la parole et de l'outil, notre rapport à la réalité, et constituant le détour par l'invisible en pivot de l'action humaine. Y-t-il un lien consubstantiel entre dimension religieuse et fait social, l'altérité sacrale fournissant au groupe le moyen de se fonder, ou bien exprimant et instituant à la fois la supériorité d'essence de l'être collectif vis-à-vis des composantes individuelles ?

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