lundi 19 janvier 2009

Méfiance française

Il est intéressant de lire, sous la plume de Magnus FALKEHED, correspondant en France du journal suédois Aftonbladet, les propos que voici (La Croix, vendredi 16 janvier) :
Qu'est-ce que vous, les Français, pouvez être exaspérants. Il y a des moments où un reporter étranger a vraiment envie de poser son stylo et vous secouer comme un prunier, tant une situation peut devenir agaçante et répétitive. Je pense à votre méfiance envers votre prochain. Cette méfiance est devenue comme un poison qui affecte tout le corps social, vous paralyse et vous rend parfois, permettez-moi de le dire, assez bêtes.
Le journaliste donne, avec humour, quelques exemples de situations courantes dans lesquelles il voit suinter la méfiance typique des Français. Adepte d'HABERMAS, lecteur attentif de son ouvrage Éthique de la communication, je m'intéresse de très près à cette question, non seulement quand elle concerne mes compatriotes, mais encore parce qu'elle me semble conditionner toutes les situations de guerre ou de paix du monde entier.
A la méfiance consubstantielle des Français, je vois plusieurs raisons, toutes issues de notre longue histoire.
La première est indubitablement liée à l'héritage napoléonien d'une administration conçue pour contrôler totalement le corps social : la caricature de la méfiance maladive de l'administration, c'est l'administration fiscale. Ses procédures sont accusatoires, et si, en face d'une affirmation, il est impossible à un contribuable de prouver sa bonne foi, il ne lui reste qu'une solution : payer. Mais cette méfiance consubstantielle à l'administration française ne se limite pas au fisc. En France, toutes les procédures de contrôle sont des procédures a priori. Il en résulte une irresponsabilité totale. "J'ai été contrôlé" dira ce citoyen. "Tout est en ordre. Je peux y aller." Et il aura tendance à frauder, d'où la méfiance accrue de l'administration. Il n'y a aucun contrôle a posteriori (ou presque). Pas vu pas pris. On pourrait étendre le constat à l'Inspection du Travail, ou aux services de la Sécurité Sociale, à la Police, aux Douanes, à la Justice (et à ses fameuses détentions préventives). Pour respirer dans le corps social, il est presque devenu nécessaire que le citoyen français fraude, tant l'administration est réellement oppressive, anonyme, et mécanique.
La deuxième raison vient du double héritage de la Révolution et de la Résistance. La première a instauré durablement la haine des "petits" contre les "gros", et le mépris des "gros" pour les "petits", ainsi que l'implantation permanente de l'utopie meurtrière de la lutte des classes dans l'esprit public, que dis-je, sa création, sa matérialisation dans le corps social. La Résistance, et les mythes nécessaires qui se sont créés autour - sans eux, nous serions morts de honte, et de Nation française, il n'y aurait plus - ont donné aux Français l'illusion qu'il n'y avait de grandeur que dans l'opposition à toute forme de contraintes, qu'elles soient légales, réglementaires ou morales. Or la résistance à l'oppression est légitime, mais la résistance à la loi ne l'est pas. Une telle attitude est illustrée par les oppositions systématiques des syndicats à toute forme de changements : changements d'horaires de travail, changements de programmes de cours, changements de statut juridique de telle ou telle entreprise d'État.
La troisième raison est, me semble-t-il, imputable à la propension de notre langue à l'abstraction, et par conséquent à l'idéologie. On oppose souvent le pragmatisme des anglo-saxons au rationalisme des français. Dans de nombreuses situations professionnelles, j'ai pu constater combien un allemand ou un suisse a du mal à nous comprendre, lui qui part d'abord des faits, avant de partir des idées. DESCARTES nous a fait beaucoup de mal, mais c'est une autre histoire. Ne parlons pas de HEGEL, mal compris la plupart du temps, pour qui la contradiction est un élement constitutif du progrès et de l'avénement du sens de l'histoire.
Ainsi, pour communiquer avec autrui, pour rentrer en relation avec lui, il faut d'abord LUI FAIRE LE CREDIT DE LA BONNE FOI. Il faut ensuite s'accorder avec lui sur le sens des mots (le tordre est un spécialité des hommes politiques, et - je suis désolé de le dire - souvent, mais non exclusivement, des hommes politiques de gauche : il n'y a qu'à voir comment on parle de "l'atteinte au droit de grève" quand il s'agit d'assurer un service minimum dans les transports ou dans l'éducation nationale). Il faut et laisser parler jusqu'au bout. Il faut dire le lieu d'où l'on parle. Il faut enfin faire un relevé rigoureux et honnête des points d'accords et de désaccords FACTUELS et non point IDEELS. Telles sont les règles du dialogue. Je vous fais remarquer, du reste, que dans le billet de vendredi dernier, j'ai commencé par dire que je ne mettais pas en doute la bonne foi d'Alix NICOLET, et j'ai ensuite posé des questions portant sur des faits, non sur des idées.

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