mercredi 10 juin 2009

Philosophe mais pas trop

Je viens d'achever la lecture du livre de Frédéric LENOIR, Le Christ philosophe. Autant j'ai aimé les premiers chapitres de cet ouvrage, ceux qui portent sur le contenu du message de Jésus, autant je reste très réservé sur ceux qui racontent l'histoire de l'Eglise.
J'aurais aimé que Frédéric LENOIR dise plus clairement d'où il parle ; si c'est au nom de l'opinion contemporaine, alors je comprends que son analyse soit conforme à ce que l'opinion commune dit de l'Eglise ; si c'est en tant que chrétien, alors il y a des choses à redire. Et non point par souci apologétique, mais au nom de l'intégrité intellectuelle. Attention, il n'est pas question ici de mettre en cause celle de l'auteur. Elle est totale, et j'aime le ton de liberté qui l'accompagne. Mais l'analyse qu'il fait de l'opinion commune contemporaine est insuffisamment critique.
Je passe sur quelques erreurs ou approximation. Il me semble que la question de fond n'est pas là.
Deux questions essentielles et même trois, se posent à moi.
La première porte sur la mutation de l'Église pré-constantinienne, objet de cruelles persécutions, à l'Église post-constantinienne. Il me semble que LENOIR confond deux plans ou en tout cas ne les distingue pas assez : le plan théologique et le plan socio-économique. Le premier concerne en effet une apparente mutation théologique, ou plutôt une évolution de la théologie chrétienne. Le cardinal NEWMAN dans son travail sur le Développement a rendu justice à l'Église. Il n'y a pas contradiction, mais développement d'un donné inclus dans le message évangélique. Il me semble que l'on peut tous être d'accord sur ce point. Le second porte sur la mutation du statut social de l'Église, sur son passage de société persécutée à société dominante, que LENOIR assimile trop vite à une société dominatrice. Certes, elle nous paraît ainsi aujourd'hui. Mais la question n'est pas de savoir ce qu'elle nous paraît avoir été. La question porte sur la conscience qu'avaient les responsables d'être ou non évangéliques.
D'où la deuxième question. Les responsables ecclésiaux antiques, médiévaux ou modernes, avaient-ils les outils intellectuels que nous ont façonnés les sciences sociales contemporaines (sociologie, psychologie, économie), pour porter un jugement éclairé sur les motivations de leurs décisions ? Ce que nous jugeons inadmissible pour une conscience contemporaine ne l'était sans doute pas pour une conscience antique ou médiévale. Et en particulier, la volonté de puissance, la soif de pouvoir pour le pouvoir - qui était peut-être le mobile profond des décisions cléricales - étaient sans doute occultées dans l'esprit des évêques ou des papes qui pensaient vouloir le bien de leurs ouailles. Mais LENOIR en expliquant comment le message de Jésus a été laïcisé rend partiellement compte de cette incapacité à comprendre la radicale nouveauté de message de Jésus.
Et enfin la troisième question qui me paraît essentielle. De tous temps, il y a eu au sein de l'Église même, des voix qui se sont élevées contre les abus ou les dérives. La grande voix de Paul de TARSE oblige Pierre à reconsidérer sa position sur l'accueil des incirconcis dans l'Église. Vous voyez que la contestation interne vient de loin. Un jugement objectif et l'exigence méthodologique de l'histoire, doit nous contraindre à étudier les réactions des chrétiens à ce qui leur semblait être anti-évangélique. Je ne parle pas ici des hérétiques, des illuminés de tous poils, des gnostiques. Je veux parler de l'innombrable cortège des saints - moines, évêques, laïcs, rois - qui ont mis en accord leurs actes et leur paroles. Chaque époque a suscité ces résistants de l'intérieur. Et il me semble intellectuellement honnête de conclure que sans leur existence humble et donnée, il n'y aurait plus d'Église du tout.
Ainsi, le Christ a peut-être inspiré des philosophies, on peut le considérer - quand on ne désire pas rentrer dans le mystère de sa personne - comme un philosophe, mais pas trop.

4 commentaires:

olibrius a dit…

C'est étonnant, mais j'ai lu également le livre de Frédéric Lenoir. J'aime bien cette personne qui insiste toujours sur le message du Christ et n'en reste pas figé à la loi. Je n'ai pas tout compris dans vos arguments, mais Lenoir m'aide bcp à comprendre la "philosophie" du Christ en vulgarisant (dans le trés bon sens du terme) ses propos. Vous m'aideriez en faisant "un peu" la même chose.

Je suis en train de lire "Mémoires d'un cardinal" de Olivier Le Gendre; c'est assez intéressant. J'ai également bcp apprécié le livre de Bernard Leconte "Les secrets du Vatican" terminé il y a une dizaine de jours.

Les auriez-vous lus?

Philippe POINDRON a dit…

Cher Olibrius,
Comme vous j'apprécie la liberté de ton de LENOIR, et j'ai lu avec passion son livre. Mes remarques n'invalident aucunement l'opinion très positive que j'ai de son ouvrage. Mais il me paraît intellectuellement faux de juger avec des yeux contemporains des événements anciens. En d'autre termes, les clercs abusifs, les inquisiteurs abominables, les simoniaques et autres prélats débauchés n'avaient pas les moyens et méthodes intellectuels pour porter un jugement analogue à celui que nous portons sur leurx actes. Il a fallu les martyrs, les saints "de l'intérieur", pour que l'Eglise subsiste et que la figure de Jésus ne soit pas défigurée. Je n'ai pas lu les Mémoires d'un cardinal. Pourquoi ne feriez-vous pas une analyse de cet ouvrage sur ce Blog ? Idem pour les secrets du Vatican.

olibrius a dit…

Alors ça ce n'est pas du tout mon "truc". Sachez seulement que l'Eglise ne cesse de cacher de trés mauvais côtés, je suis trés bien placé pour le dire et je le paye encore. Dans ces livres, les choses sont dites avec modération, avec preuves... les bonnes,comme les moins bonnes.
J'ai un peu de mal de temps en temps à accepter vos affirmations car irréalistes, mais ce n'est pas une réaction contre la personne de Philippe Poindron... encore que des fois!!!!!!!!!!!

Philippe POINDRON a dit…

Certes, F. Lenoir dit des choses très intéressantes et j'ai souligné sa liberté de ton. Ma critique est une critique de fond cependant. On ne peut juger de ces périodes troublées de l'histoire de l'Eglise avec nos catégories modernes, et jamais Lenoir ne dit d'où il parle : en son nom personnel ? au nom de ses contemporains ? Et j'ai bien dit que c'est grâce auxc saints, aux résistants de l'intérieur que l'Eglise institution subsiste encore. Je suis d'accord mille fois avec vous : la vérité libère ; Jésus est Chemin, Vérité et Vie. Tout le reste est subordonné à cette affirmation.
Le jour vient, et il est proche, où seuls quelques disciples ferons mémoire de cette soirée où Jésus, le Fils, a donné sa vie pour que nous l'ayons, nous, en abondance. Tenez-bon dans le le Seigneur !disait Paul. Et cela n'a rien à voir avec les "Tu dois" ; "Il faut" ; "C'est interdit".
Bien amicalement.