samedi 18 juillet 2009

Comment créer un problème là où il n'y en a pas

Un très cher ami de Strasbourg m'envoie plusieurs opinions relatives à la campagne menée par divers médias à propos de la grippe dite "porcine", ou "A", ou plus exactement H1N1. L'une d'elle m'interpelle et me paraît assez juste. L'agitation médiatique, et la crainte entretenue par les journaux et par les autorités sanitaires, a pour but essentiel de justifier l'achat massif de vaccin antigrippal auprès des grands laboratoires pharmaceutiques : Glaxo-Smith-Kline, Pasteur, etc.
Pour comprendre de quoi il retourne, permettez au virologiste que j'ai été pendant plus de trente ans, de vous donner quelques explications. Je les ferai aussi simples que possible. Le virus de la grippe existe sous plusieurs types, appelés A, B et jadis C (aujourd'hui le virus grippal C a été détaché du genre Influenzavirus et présente quelques particularités qui en font un genre viral à part).
Les virus grippaux A sont responsables des pandémies, des épidémies interpandémiques et des épidémies localisées. Ils sont très variables, car le mode de réplication de leur matériel génétique est tel que la copie de celui-ci est assez peu fidèle. On le dit, pour cette raison, soumis à de nombreuses mutations. Le support physique du matériel génétique ou génome est de l'acide ribonucléique (ARN) associé à une protéine dite NP. Il est fragmenté en 8 segments dits subgénomiques. La plupart de ces segments codent un seul gène. L'ensemble de ces segments est enclos dans une membrane empruntée à la membrane cytoplasmique de la cellule hôte, dans laquelle s'est multiplié le virus. Dans cette enveloppe virale sont enchâssées deux protéines : l'une est l'hémagglutinine (H), qui permet au virus de se fixer aux cellules qu'il va infecter ; l'autre est la neuraminidase (N) qui permet au virus de traverser plus facilement la couche muqueuse revêtant l'épithélium pulmonaire, et aux virus fils d'être libérés hors de la cellule hôte. Il existe 12 types de protéines H et 9 de protéines N. Théoriquement, je dis bien théoriquement, chacune des protéines H peut être associée dans l'enveloppe virale à l'une quelconque des protéines N. De sorte que l'on pourrait avoir des virus A/H1N9 ou H2N7 ou autres, circulant dans la nature.
Pour des raisons diverses, et qu'il n'est pas nécessaire d'expliquer ici, les virus grippaux A qui donnent des pandémies humaines (ou épidémies mondiales) sont des virus grippaux H1N1, H2N2 et H3N2 (dits variants majeurs). Ces variants majeurs mutent et engendrent des variants mineurs, responsables des épidémies interpandémiques. Des études d'archéosérologie, et l'histoire de la grippe, montrent que chez l'homme les pandémies surviennent selon le cycle H1N1, H2N2 puis H3N3. En raison de l'extrême contagiosité du virus, il arrive un moment, où les possibilités de mutation d'un variant majeur étant épuisées, toute la population humaine est protégée (immunité dite de troupeau). La place est prête pour un nouveau variant majeur. Nous venons de clore le cycle du H3N2. Il était donc prévisible que le nouveau variant majeur fût un virus A/H1N1.
Alors pourquoi cette terreur ? Tout simplement parce que la grippe dite "espagnole" de la pandémie de 1918-1919 qui a fait des millions de morts était du sous-type H1N1. Il est vrai que le réservoir de cette souche était le porc. Elle était extrêmement virulente pour l'homme, et frappait surtout les sujets âgés de 20 à 30 ans. Les décès étaient provoqués essentiellement par des surinfections pulmonaires dues à une bactérie appelée Hemophilus influenzae. En effet, la contamination par cette bactérie était si fréquente qu'on lui attribuait à tort le rôle d'agent de la grippe. Son découvreur, le japonais NOGUCHI, est responsable de cette erreur, bien compréhensible.
Ce n'est ni l'origine porcine, ni la combinaison H1N1 qui est responsable de la virulence d'un virus grippal ; c'est une constellation de gènes dont les produits cumulent des propriétés d'adaptation à l'homme, de vitesse de multiplication, de fixation aux cellules hôtes, etc. Par ailleurs, toute pandémie due à un nouveau variant majeur provoque une surmortalité chez les nourrissons, chez les vieillards, chez les immunodéprimés, et chez les sujets présentant une déficience cardiaque ou une atteinte pulmonaire chronique. Ceci est vrai pour le H1N1, le H2N2 et le H3N3. Les décès enregistrés à la suite de l'infection par le variant majeur émergeant H1N1 sont le résultat, hélas prévisible, de la sensibilité particulière de certains sujets au virus grippal.
Il n'y a donc pas lieu de craindre cette pandémie plus que les pandémies dues au virus de la grippe dite "asiatique" ou la grippe dite de "Hong Kong". Les sujets qui doivent se faire vacciner sont les sujets à risque et personne d'autre.
Entretenir la crainte de cette pandémie, lui donner un caractère dévastateur que le virus ne semble pas avoir, n'a, me semble-t-il qu'un seul but, celui de faire se précipiter dans les pharmacies la population affolée, pour qu'elle achète un vaccin qui certes peut la protéger, mais peut aussi présenter quelques risques.
Mais le sacro-saint principe de précaution qui veut que l'on ouvre le parapluie quand il y a quelques nuages me paraît traduire une caractéristique de la mentalité contemporaine : quand quelque chose ne va pas, il faut trouver un responsable ; le responsable, c'est le pouvoir politique ; celui-ci se protège. Je ne sais pas comment on peut vivre sans accepter quelque peu les risques de la vie, comment on peut goûter la vie en ne cherchant que la protection, l'assurance, en ne vivant par conséquent que dans un futur qui n'existe pas encore, et en négligeant d'habiter l'ici et maintenant.

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