mardi 8 septembre 2009

Le réel nous résiste

Je répondrai plus en détail à la contribution-commentaire de Fourmi sur PICASSO. Mais, puisqu'elle m'y invite, je vais développer la notion : "le réel est ce qui nous résiste".
Quand je veux planter un clou dans un mur, il me faut prendre un marteau. Car le mur résiste au clou, et il ne suffit pas que je claque dans les doigts pour parvenir à mes fins. Le mur et le clou sont des objets réels qui ne se laissent pas manipuler sans effort. Si je ne mets pas d'essence dans le réservoir de ma voiture, elle finira par s'arrêter. Car, réellement, elle a besoin de carburant pour avancer. Montons d'un cran. Un homme aime une femme qui ne lui rend pas son amour. Le réel est bien là qui la fait résister aux avances de cet homme. Et un peintre ? Où est le réel du peintre ? Tant que le peintre a eu pour souci de rendre au mieux ce qu'il voyait (nature morte) ou imaginait (scènes mythologiques ou religieuses), il s'est efforcé de rendre sur la toile les couleurs, les contours, l'atmosphère de son "sujet" (mot banni aujourd'hui). Et c'est pourquoi il nous est possible de repérer, grâce à l'analyse aux rayons X, les tableaux des anciens maîtres, les retouches et les repentirs des grands maîtres. Le réel des formes, des couleurs, de l'atmosphère leur résistait et, hormis quelques génies, il est rare qu'ils aient peint d'un premier jet. Ils s'efforçaient de rendre la réalité sublimée par leur talent.
Quand PICASSO torture les visages féminins, il n'est pas dans le réel. Car ces visages ne lui résistent en aucune manière. Il est vrai - je l'ai vérifié dans le film de CLOUZOT - qu'il a été un champion des repentirs picturaux. Mais qu'est-ce qui lui résistait alors ?
Alors je vais terminer par une citation de Marcel DE CORTE (L'intelligence en péril de mort ; chapitre 1 ; les Intellectuels et l'Utopie)
"Du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours, le régime le plus général sous lequel a vécu et vit encore, si l'on peut dire, l'humanité, est la dictature de l'intelligence telle qu'elle est devenue depuis qu'elle est monopolisée par les intellectuels développés, sous-développés ou en voie de développement. Il n'est pas d'époque de l'histoire où l'humanité ait délibérément reconnu aux "lettrés" ce redoutable et exorbitant privilège de la conduire vers un nouveau paradis terrestre, des lendemains qui chantent, un point Oméga, une fraternité planétaire, un communisme universel, une démocratie mondiale, une fusion oecuménique de tous les théismes, athéismes, monothéismes et polythéismes, bref vers l'utopie."
Eh bien moi je résiste à ces tentatives totalitaires de contrôle par quelques têtes d'oeuf, et si j'utilise mon intelligence, c'est d'abord pour explorer un réel qui ne me doit rien pour exister, et devant lequel je m'incline avec le plus d'humilité possible.

2 commentaires:

Geneviève CRIDLIG a dit…

Devant cette phrase : « la dictature de l'intelligence telle qu'elle est devenue depuis qu'elle est monopolisée par les intellectuels développés, sous-développés ou en voie de développement… » j’ai hésité entre mourir de rire ou mourir étranglée.

De toute manière, pensez-vous, le résultat aurait été le même.

Bref, j’ai survécu.
Avec deux interrogations :
1. Mourir de rire : devant l’expression : " les intellectuels développés, sous-développés ou en voie de développement "
Y aurait-il eu dans une transcription trop rapide un oubli du mot par exemple « pays » ? En tout cas ce procédé volontaire ou non et relevant alors d’un lapsus absolument génial révèle une réalité
d’une misère lamentable et atroce dans ses pouvoirs sur l’autre.
Je trouve que cette offre de classification de nos intellectuels de tout bord serait un exercice sensationnel ... pour un jour de pluie.

2. Mourir étranglée :
Qu’est-ce qui est vrai ? Faux ? Qui est ‘le dictateur’ actuellement ?
Ce qui est présentée ici - la dictature de l’intelligence ?

Ou cette autre assertion ? Soutenue depuis quelques années selon laquelle :
a) l’intelligence aurait aussi déménagé et quitté les sphères aussi bien éducatives que justement et paradoxalement intellectuelles.
Les intellectuels ne seraient plus intelligents. L’intelligence leur échappe. Une valeur en perdition. Le naufrage de la pensée. Etc. + voir billets anciens.

b) la véritable (donc réelle) dictature serait celle de l’argent, du commerce, des différents lobbies qui prédomineraient sur le politique (composée normalement d’intellectuels) encore que ce formatage tende à devenir poreux ces derniers temps et à accueillir des personnes qui ne le seraient pas car venant de milieux du travail et non de l’ENA et autres grandes écoles.
[une digression : il serait utile à ce sujet de redéfinir la notion de travail]

°NB. Rien à voir avec notre Président qui parcourt la planète avec nos rafales en poche. Dire que quelques petits émirs convaincus suffiraient à combler le trou de notre Sécu. – alors qu’ils n’en ont pas chez eux. C’est cela les vrais échanges. °


Je disais précédemment mon désarroi devant les diverses présentations opposées de notre réel - présent -.
Celle que l’auteur du blog propose à notre réflexion n’est-elle qu’un pot de yaourt périmé ?
Cela dit avec tout mon respect.

*** Je ne résiste pas à faire un peu d’étymologie qui ouvre un nouvel espace de compréhension :
- « présent » a pour origine le nom latin « praesentia » venant du verbe « praesum – praeesse »
- sum = je suis
– esse = être
Le préfixe ‘prae’ signifie en avant- à l’avant

 Ce verbe en entier veut donc dire : être en avant, au devant, diriger, commander, conduire.

 Le pré- de présence dans un monde bien romain signifie la prédominance, la présidence, la prépondérance, de ce qui arrive.

Par exemple si je fais preuve de présence d’esprit, c’est que je sais faire face à un évènement imprévu et par conséquent que je m’en suis rendu maître.

Et c’est cela qui devrait entrer dans la force de la personne ou de la valeur appelée à exercer une dictature. Elle perdrait alors sa connotation négative pour gagner une signification puissante et féconde.
On dirait non pas « dictature de l’intelligence ou du marché » ou « dictature de Monsieur Un Tel ou de Madame d’ailleurs » mais on se poserait la question en ces termes : " l’intelligence a-t-elle une présence de nos jours ou non ? " ou " Monsieur Un Tel , chef de X... est-il présent ou pas?"

Philippe POINDRON a dit…

Ah, chère Fourmi, vous y allez un peu fort. J'ai pris quelques exemples de réel, et je vous mets au défi de me dire qu'ils ne sont pas pertinents. La citation que je donne est exacte, et elle dit bien ce qu'elle veut dire. Quand DE CORTE parle de la dictature de l'intelligence, il veut parler de la dictature de l'idée ou du système d'idées, il veut parler d'une intelligence déconnectée du réel, d'une intelligence qui se meut dans le seul monde des idées. Et cela est vrai.
Bien entendu, DE CORTE n'entend pas classer les intellectuels. Son procédé d'énumération est humoristique, et il est évident qu'il veut parler des intellectuels ou soi-disants tels de tous les pays, en suggérant que ceux des pays développés se haussent un peu du col, et pourraient bien avoir quelques mépris indus pour leurs collègues des pays émergents.

Il est toujours difficile de comprendre une citation hors de son contexte, et cette mise au point ne me semble pas inutile.

Si dictature de l'argent il y a, elle est la conséquence d'une dictature de l'intelligence mise au service du seul profit, et découlant toujours d'une idéologie globalisante. Pour l'instant, l'idéologie dominante est celle d'Adam SMITH qui voit dans la main invisible du marché le seul principe régulateur des échanges marchands ET du bonheur. L'erreur est ici de lier les deux notions.

C'est l'intelligence du réel qui a déserté les intellectuels. Ce matin même, j'entendais monsieur Claude ALLEGRE sur RTL. C'est un scientifique de très haut niveau, un homme intègre, que j'ai toujours estimé, y compris et surtout quand il était ministre de l'Education Nationale. Monsieur ALLEGRE concluait ainsi son intervention (je cite de mémoire, mais l'idée est exactement rendue si le verbatim n'y est pas) : un des signes du déclin de l'Occident c'est qu'il privilégie la croyance au détriment des faits.

On ne saurait mieux dire.