mardi 15 décembre 2009

En s'accrochant, on peut comprendre...

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J'ai déjà parlé de ce livre d'accès difficile mais tellement intéressant, je veux parler du Désenchantement du Monde, de Marcel GAUCHET. Je trouve a chapitre intitulé "Dynamique de la transcendance", ce constat qui me semble être au coeur des difficultés que traverse notre monde contemporain :
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"Le pensable nouveau - que la société a son principe de constitution en elle-même - est à comprendre au regard de la réalité de l'État souverain, cet État ramassant en lui, avec le principe actif de la cohésion collective - ce qui continue de tenir la société ensemble -, le droit général d'administration inhérent à l'autosuffisance de la sphère terrestre. Or, à partir du moment où il est ainsi d'un côté devenu concevable que le lien de la société procède d'un acte originaire d'instauration, et où il est en pratique posé, de l'autre côté, que la somme de ce qui fait être la société comme elle est se trouve au moins potentiellement concentré dans l'instance politique, une dynamique est irrésistiblement enclenchée qui garantit à plus ou moins longue échéance l'interpénétration de deux dimensions, la fusion de l'idéal et de l'agi, l'alignement du fonctionnement social au présent sur la norme illustrée par le passé fondateur. Car la condensation dans l'État d'un fondement collectif supposé tenir à des raisons d'ici-bas signifie la subversion et la ruine du principe hiérarchique."
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Le texte est difficile, j'en conviens. On peut essayer de comprendre ce qu'il veut dire, et qui rejoint ce que j'ai eu l'occasion de suggérer dans nombre de mes billets. (a) Le régime politique sous lequel nous vivons fait référence à un acte fondateur relativement récent au regard des temps historiques : celui de la Révolution. Cet acte fondateur est présenté (mensongèrement selon moi) comme un idéal, et la politique actualisée, celle que les générations qui se sont suivies depuis l'avènement de la République ont promu, l'a été et l'est comme une mise en oeuvre, un agi de cet idéal fondateur. (b) Le pouvoir en place est l'organe souverain qui, selon le mot de GAUCHET, "accroît son contrôle, et sa prise en charge de la vie sociale", et en conséquence, "défait l'image organisatrice d'antériorité-supériorité de l'ordre social". Il en résulte que cet ordre social apparaît "comme issu de la volonté d'individus qui, en droit, lui préexistent", et qui "en fonction de cette indépendance primitive et de la suffisance de chacun à lui-même [...] ne peuvent être conçus que comme abstraitement égaux". (c) L'appareil administratif faisant peser de plus en plus lourdement son autorité, l'imposition de règles à des inférieurs par des supérieurs n'est plus légitime, et la logique de la représentativité devient de plus en plus évidente : ce mouvement explique les effarouchements des beaux esprits après le vote des Suisses sur les minarets. Les Suisses n'ont pas pour acte fondateur une Révolution, mais des pactes successifs entre petites régions et la volonté farouche de défendre la liberté de ces dernières et de donner au peuple toujours le dernier mot. En Suisse, l'ordre social vient moins de l'État que du Peuple. La représentativité des élus y a moins d'importance que chez nous. (d) Le système démocratique à la française a détruit tous les corps intermédiaires et il laisse le citoyen seul et désarmé devant l'État ; ceci est le corollaire de la disparition de la hiérarchie, présentée comme inégalitaire et injuste.
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Mais dit plus loin GAUCHET, "A côté, ou plutôt au-dessous de l'être social, pris au-dehors dans le réseau des contraintes communautaires et des obligations envers César, il y a [...] un homme intérieur, absolument indépendant en ultime ressort, au fond de lui-même dans sa relation à Dieu. A l'acteur lié par les appartenances de ce monde répond, en chaque croyant, la personne déliée par l'engagement envers l'autre monde." Il me semble que ce constat résume à lui tout seul l'impasse dans laquelle la démocratie s'est fourvoyée, et les raisons pour lesquelles les tenants de la République ont tellement voulu détruire l'Église, et tout spécialement l'Église catholique. Pour eux, la volonté collective (une idée parfaitement abstraite, dépourvue de toute réalité) doit être placée au-dessus des volontés individuelles, surtout quand celles-ci refusent de s'incliner, pour de bonnes raisons, devant César. La démocratie a un côté totalitaire et elle l'ignore.
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Selon moi les droits de la conscience éclairée sont au-dessus des lois humaines, et nul n'est tenu d'y obéir si elles heurtent manifestement la justice, la vérité, les exigences de la nature et, j'ose le dire, celles de Dieu. Encore faut-il y croire. Ainsi le conflit a des causes clairement identifiées : les droits de Dieu contre ceux de l'Etat.

2 commentaires:

Geneviève CRIDLIG a dit…

Pour la première fois, je vais livrer un poème : comme la poésie est faite pour être dite, alors écoutez-moi.
Ou plutôt écoutez la voix d’un autre professeur de Français. Un grand. Et qui était poète.
Je ne l'ai pas connu et vous n'en avez sans doute jamais entendu parler.
Si j’ai eu un honneur terrestre dans ma carrière, ce fut celui de lui succéder dans un lycée en 77, parce qu’il avait fait son passage l’année précédente.

Ce sera mon commentaire de l’origine profonde de la liberté de celui ou celle qui établit son lien en Dieu.
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Joseph PERARD
Titre du recueil : Traces de pas [achevé d’imprimer le 31 mai 1976]

« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver. » (René Char). Voici des traces.
Dieu sait combien d’autres ont été effacées, au nom de la perfection. « La perfection, c’est la mort », me criait Max Jacob, qui me recommandait l’afflux, le vrai lyrisme. J’ai mis bien du temps à l’admettre, influencé par les auteurs anciens et modernes de quatrains et de poèmes courts, mais toujours beaux. Ce qui reste de tant d’étapes n’est qu’un choix d’émotions (essence de la poésie) dans leur sincérité et leur simplicité. Assez d’empreintes, de vestiges pour se représenter tout un chemin, le passant qui ‘‘porte la forme entière de l’humaine condition’’.
Que ces traces fassent rêver ceux qui rêvent encore. »

LA V I G N E

Vigne du seuil, leçon divine,
« Je suis le cep, vous les sarments,
Et vous en moi et moi en vous,
Que vous portiez beaucoup de fruit ».
Il est la vigne, il est la tête
Du Corps dont nous sommes les membres.
L’un est en l’autre, tout est un.

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Philippe POINDRON a dit…

Merci, chère Fourmi. Jamais commentaire n'a été plus juste et plus adapté... Mais le monde ne veut pas entendre.
Amicalement.