samedi 9 janvier 2010

Refus de quotas ou respect de l'effort ?

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Mon billet de ce jour comportera quatre parties : un exposé des faits, un exposé des réactions à ces faits, mon propre commentaire, et une citation de mon cher Gustave THIBON.
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Les faits d'abord. La Conférence des Grandes Écoles refuse l'instauration d'un quota de 30 % de boursiers dans les effectifs des élèves de leurs établissements. J'ai personnellement entendu et vu à la télévision, monsieur Richard DESCOINGS, le Directeur de l'Institut des Sciences Politiques de Paris, et monsieur TAPIE, le directeur de l'ESSEC. Le premier a instauré un quota de places réservées aux élèves boursiers, issus de zones dites "défavorisées" mais au parcours scolaire prometteur, et - bien qu'il n'ait donné aucun chiffre susceptible de justifier le bien fondé de ce choix (par exemple un taux de réussite identique ou voisin des deux "populations" d'étudiants) - il ne semble pas regretter ce choix. Le second a mis au point un autre système, celui du tutorat. Il fait encadrer des lycéens boursiers prometteurs par des élèves de son École, et les prépare ainsi au concours d'entrée. L'étudiante d'origine vietnamienne qui a été interrogée (elle a intégré l'ESSEC par ce moyen, et elle est en deuxième année) dit toute la satisfaction qu'elle a d'avoir pu bénéficier de ce dispositif. Enfin, il faut signaler une des motivations (une et pas une unique) de cette décision apparemment frileuse : la crainte de la baisse de niveau.
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Les réactions. Luc CHATEL a jugé choquant que l'on puisse faire un lien entre élèves boursiers et baisse de niveau dans les écoles. Sur ce point je suis d'accord avec lui, nonobstant quelques remarques préliminaires sur lesquelles je reviendrai. Yazid SABEG, commissaires à l'Egalité des chances, juge la décision "scandaleuse", et Valérie PECRESSE a réaffirmé son engagement en faveur de la mixité sociale, tout en demandant une révision des modalités des concours. Je n'ai pas vraiment pu recueillir l'avis d'hommes politiques de l'opposition. J'ignore donc leur position.
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Ma propre réaction. (a) Il y a en effet un jugement téméraire dans l'opinion émise par la Conférence des Grandes Écoles sur la possible baisse de niveau. Être boursier n'est pas une tare, ni un facteur de moindre qualité intellectuelle. J'ai compté parmi mes élèves un jeune qui n'avait pas le baccalauréat et qui a pu faire DEA, thèse de 3ème cycle, thèse d'état, rentrer à l'INSERM et devenir en son temps le plus jeune directeur de recherche de ce grand organisme. J'ai eu, de même, un collaborateur qui a commencé par un CAP de mécanique automobile et est devenu, après un parcours scolaire que n'ont pas encouragé ses professeurs du secondaire technique, un très brillant chercheur. (b) Mais être boursier ne doit donner aucun droit spécifique, et surtout pas celui d'intégrer sans effort une école prestigieuse. C'est cela qui est irrespectueux. Ces jeunes on souvent de très belles aptitudes intellectuelles. A mon avis, l'heureux élu doit avoir passé un concours spécifique, si l'on utilise le système des quotas, un concours organisé de façon à ne pas privilégier l'intelligence abstraite ou des connaissances trop livresques, souvent l'apanage des jeunes de familles favorisés. Mais au nom du respect que l'on doit à ces jeunes, il faut qu'il y ait un système de sélection et de sélection sévère, comme pour les autres élèves. Une fois intégrés à l'école, ces jeunes doivent subir exactement le même type d'examen que leurs pairs non boursiers. Mais j'avoue ma préférence pour le système du tutorat, car il oblige à s'occuper des autres. L'idée selon laquelle les classes dominantes maintiennent par leur système de sélection leur pouvoir sur les classes dominées est une idée idiote, passablement marxiste. Elle repose sur l'idée qu'il faut remplacer ceux qui dominent d'une certaine façon par ceux qui de toute façon domineront aussi, mais d'une autre façon, ce qu'IZNOGOUD aurait traduit par le célébrissime "Je veux être calife à la place du calife". Elle repose aussi sur la croyance que la culture élaborée, diffusée, transmise ou recueillie par ces jeunes "favorisés" n'est d'aucune valeur ; qu'elle ne représente pas ce qui se fait de mieux en matière de connaissances. Ce qui est évidemment d'une fausseté absolue. Car je doute que la maîtrise de l'argot et du verlan puisse être sérieusement comparée à celle de la langue maternelle dans ce qu'elle a de plus beau et qu'ont exprimé tant de poètes, d'écrivains, d'hommes politiques. J'ajoute que dans ma propre Université, j'ai connu quatre collègue qui on commencé par être instituteurs avant de devenir des savants de renommée internationale, en passant par la dure loi des concours de recrutement de professeurs des Universités, et qui ont commencé comme boursiers.
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La citation. "C'est un fait : jamais peut-être, d'une classe à l'autre de la société ou entre hommes de niveau culturel différent, on n'avait observé tant de distance et si peu d'échanges. L'influence humaine, positive des élites sur le peuple est maintenant voisine du néant. On avait cru pourtant - et ce fut un des mythes majeurs du XIXe siècle - que la fraternité, la communion symphonique des hommes naîtrait du relâchement de l'esprit de classe et, à la limite, de la suppression des barrières sociales. Mais ce qui arrive n'est paradoxal qu'en apparence. La confusion n'unit pas, elle sépare : elle crée entre les éléments confondus des oppositions irréductibles. Toute réciprocité d'influence implique une solide diversité de nature et de position." Et plus loin : "Le messianisme égalitaire engendre au contraire, dans le peuple, la révolte et la méfiance à l'égard des chefs, chez les chefs, le souci de garder la distance à l'égard du peuple : d'une part un réflexe d'agression et de l'autre un réflexe de défense, la guerre au lieu de la communion. Car - quelle que soit l'habitude que la Révolution française nous ait donnée de voir accouplées les deux mots - la fraternité n'a pas ici-bas de pire ennemi que l'égalité." (In Diagnostics. Essai de Physiologie sociale)
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Je n'ai rien, strictement rien à rajouter à cette analyse qui démonte les mécanismes de l'envie sociale, du ressentiment nietzschéen, et la sourde violence lovée dans ces calamiteuses bonnes intentions.
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3 commentaires:

MALTAISE a dit…

Bravo pour ce billet dont nous partageons totalement les idées.

Une fois de plus, nous admirons la lucidité de Gustave Thibon, dont nous souhaitons qu 'il soit davantage connu.

Françoise et Dominique GERARD

Eugénie a dit…

cher monsieur poindron , je ne partage qu'à moitié vos analyses. En effet étant moi même a sciences-po , j'ai pu observer des elèves provenant de zep, et puis vous affirmer qu'il n'ont rien à envier du point de vue de l'intelligence et de la culture aux bobos parisiens qui ont trimé tout l'été dans des prépas privés au cout exorbitant pour préparer le concours d'entrée (et là il ya une vraie inégalité:IMPOSSIBLE de rentrer sur concours sans payer des cours particuliers). De plus le niveau de l'école n'a pas semblé baisser pour autant puisque nous étions + de 80% cette année à avoir obtenu + de 17 au bac (ce qui, je l'admets n'est qu'une preuve relative, compte tenu du niveau incroyablement bas de cette épreuve).
je suis convaincue qu'il faut mener une politique de detection de jeunes à fort potentiel dans les zones defavorisés (sinon ils n'auront jamais l'idée ou l'occasion de tenter les grandes écoles ). Quant à "faire du chiffre" par démagogie en instaurant des quotas, cela est absolument inadmissible dans le domaine de l'éducation.

"ils ont voulu l'égalité dans la liberté, ils la voudraient encore dans l'esclavage" disait Tocqueville à propos du gout français pour cette valeur: come lui il me semble plutot que l'egalité est l'ennemie de la liberté , et resulte plus d'une sécularisation des valeurs chretiennes (hommes égaux devant Dieu) que d'une interiorisation des idéaux marxistes...
Vous qui n'aimez pas l'esprit de système, pourquoi considerer la Revolution comme "un bloc dont on ne peut rien soustraire" ?
D'aucuns diront encore que je nage dans le courant de la "pensée unique", ils se trompent , recul et objectivité , voilà mon leitmotiv.

Philippe POINDRON a dit…

Chère Eugénie, je crains que vous ne m'ayez pas compris. Ou plutôt devrais-je dire que je me suis mal exprimé. Je suis entièrement d'accord avec vous. Je dis simplement qu'en défendant son point de vue, monsieur DESCOINGS ne l'a pas argumenté. J'ai dit aussi à plusieurs reprises dans ce Blog que, vers la fin de ma carrière, j'ai enseigné la biologie générale (bénévolement) à des jeunes des banlieues qui préparaient le Diplôme d'Accès à l'Enseignement Universitaire : j'en ai eu de fort brillants et qui ont bien réussi. J'ai bien exprimé ma réticence à la prétendue baisse de niveau liée à de possibles quotas ; j'ai simplement dit, et je le maintiens, que si les critères d'accès aux grandes écoles doivent être adaptés pour les élèves originaires de coins difficiles, ils ne sauraient en aucun cas être bradés. J'ajoute que les examens doivent être identiques pour tous au cours de la scolarité.
Pouvez-vous me confirmer que vous êtes d'accord ? Bien amicalement.