lundi 1 mars 2010

Résurrection

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Je n'ai jamais caché la fascination qu'exerçait sur moi l'Asie et il est une Asie mystérieuse dont je m'efforce de percer les antiques mystères : l'Iran. C'est pourquoi, je suis avec passion, depuis cinq ans, les cours que dispense , au Collège de France, le Pr Jean KELLENS, titulaire de la chaire de langues et civilisations indo-iraniennes, sur l'Avesta, le livre sacré des Mazdéens. Le Pr KELLENS est le lointain successeur de James DARMESTETER qui fit connaître à la France une traduction complète et liturgique de cet ouvrage, à la fin du XIXe siècle. Je possède une réédition de cette traduction, publiée en 1960, en 3 volumes, à la Librairie d'Amérique et d'Orient Adrien-Maisonneuve. C'est le XXIe volume des Annales du Musée GUIMET.
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DARMESTETER fut un très grand intellectuel, un digne successeur d'ANQUETIL-DUPERRON, ce savant français qui fit connaître à l'Europe la langue avestique. Mais DARMESTETER a écrit aussi des Lettres sur l'Inde et un petit opuscule intitulé La légende divine (je cite ici les ouvrages que j'ai lus car je les ai en ma possession). Pour en comprendre l'intérêt et la valeur, il convient de souligner que ce savant était d'origine israélite, qu'il était originaire de Lorraine, et qu'il était agnostique.
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Or donc, rangeant ce matin quelques livres de ma bibliothèque qui dort dans des cartons entreposés dans un box, je retrouvais tout à fait par hasard un exemplaire de La légende divine, dédicacé par l'auteur à monsieur Arman de CAILLAVET, exemplaire qui fut pendant un temps en possession d'André MAUROIS dont l'ex libris figure au dos intérieur du premier plat. Et je retombe, ô stupéfaction, sur ce passage qui figure dans le chapitre intitulé Résurrection. Je le trouve superbe et digne d'être porté à votre connaissance (car l'ouvrage est rarissime), en cette période de carême.
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"Je m'éveillais de mon rêve - dit l'auteur. C'était le soir, sur le Calvaire ; l'ombre de la croix s'allongeait et couvrait la terre. Aux pieds de la croix, des femmes en deuil priaient et pleuraient. Et il y en avait une qui restait debout, les yeux en pleurs, mais sans prière.
En voyant ces femmes qui pleuraient, je me rappelai qu'elles pleuraient en vain et répétai les paroles du Christ mourant, les paroles qu'il avait lancées de l'enfer quand il se retourna pour la dernière fois vers le monde. Je répétai les paroles qui dessèchent.
Et celle qui était debout, en pleurs et sans prière, vint vers moi, et comprimant le battement de son coeur, indignée et aimante, me jeta ce cri :
'Non ! il ne vous a pas maudits ; est-ce qu'on maudit la créature pour qui l'on a choisi de souffrir ?'
Tombé de la terre, tombé du ciel, il sait qu'il laissera derrière lui, comme un nerf souffrant au coeur de l'homme, la soif de souffrir pour d'autres, comme Lui : que lui importe d'être oublié ?
Et elle me prit par la main et me dit : 'viens'."
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DARMESTETER donne bien à entendre, après cette séquence, qu'il ne croit pas à la résurrection du Christ. Et je me devais de le dire pour ne pas annexer indûment à la foi un homme qui ne l'avait pas. Mais je considère que ce texte est d'une rare beauté, d'une rare profondeur et que DARMESTETER a saisi là l'essentiel du mystère de la croix : une mère qui ne prie pas, puisqu'elle est assurée de posséder déjà par la foi ce qu'elle espère, une Marie, mère de toute les douleurs, et l'affirmation nue mais péremptoire du salut. Ainsi le mystère est bien révélé ici comme une "manifestation de la Gloire de Dieu".
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Comme quoi l'amour de l'iranologie peut conduire à des lectures inattendues. Je vous laisse sur ce texte et espère qu'il vous inspirera, comme à moi, de salutaires réflexions.
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2 commentaires:

Roparzh Hemon a dit…

Ce texte de DARMESTETER (vous l'orthographiez DARMESTER la
première fois ; quelle ortographie est la bonne?) est remarquable en effet,
et encore plus sous la plume d'un non-chrétien.

Cela dit, qu'est-ce que c'est que cette fantaisie de qualifier l'Iran
d' "asiatique" ? L'iranien est indo-européen, et la civilisation iranienne
actuelle est essentiellement musulmane. Rien à voir avec l'Asie, donc.

A wir galon,

E. D.

Philippe POINDRON a dit…

Cher Roparzh Hémon,
j'ai effectivement fait une faute dans la première occurrence du nom patronymique de James DARMESTETER. Mais après, l'orthographe du nom est correcte. Il s'agit bien de DARMESTETER.
Vous noterez que j'ai bien pris soin de dire que la chaire tenue par le Pr KELLENS, après qu'elle l'eut été par DARMESTETER, s'appelle "chaire de langues et civilisations indo-iraniennes" et il me semblait que c'était bien suffisant pour indiquer que l'IRAN ressort de la civilisation indo-européenne. L'IRAN, cependant, est bien en Asie (géographiquement), et les multiples invasions dont il fut le siège (des Mongols aux Turcs, en passant par les Arabes) ont très fortement influencé ses manières de penser le monde et la vie.
J'ai corrigé l'orthographe litigieuse, et j'espère que ces précisions viendront heureusement compléter vos très judicieuses remarques. Incidemment, ce que vous dites de l'IRAN est vrai aussi du TADJIKISTAN dont la langue et le peuplement sont typiquement iraniens. Il n'empêche qu'on situe bien ce pays en Asie centrale.
Bien amicalement.