dimanche 31 octobre 2010

Bernard Friot et les retraites

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Ainsi que je l'ai déjà dit, je n'ai pas pu me procurer le livre de Bernard FRIOT sur les retraites. Néanmoins, j'ai reçu avant hier le message d'un ami de POITIERS qui me demandait ce que je pensais des propositions de cet économiste qui lui avaient été transmises par un tiers. C'est donc sur ce message et non sur ce livre que je réagis, en faisant l'hypothèse de départ que ce sont bien les positions de l'éminent collègue qui a publié cette étude. J'espère répondre ainsi, au moins provisoirement, à POTOMAC.
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Bernard FRIOT est économiste ET sociologue. Il enseigne à l'Université de PARIS X (Nanterre ?). Il a donc une double formation. Avant de dire pourquoi cette analyse me paraît irrecevable, je vais m'efforcer de vous la transmettre, à partir de ce message, j'insiste bien sur ce point, et non à partir du livre. Ceci signifie que le message anonyme a très bien pu déformer les propos de l'auteur.
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Le message porte donc sur l'article qu'a publié Bernard FRIOT : "Financement des retraites : l'enjeu des cotisations patronales." Il commence par en citer quelques extraits : "On oublie toujours, quand on raisonne sur l'avenir des retraites, que le PIB progresse d'environ 1,6 % par an, en volume, et qu'il double, à monnaie constante, en 40 ans. C'est pourquoi nous avons pu multiplier par 4,5 les dépenses de pension depuis 1960."
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L'auteur du message s'indigne qu'une telle information ait été passée sous silence et s'en sert pour fustiger la reforme des retraites. Par un calcul (exact), il indique que dix actifs produisent aujourd'hui un gâteau de 100 et qu'ils ont à charge 4 retraités. Quatorze personnes se partagent donc un gâteau de 100, soit 7,14 par personne. Si dans quarante ans, 10 actifs produisent un gâteau de 200 et qu'ils ont à charge 8 retraités, ce sont 18 personnes, dit-il, qui se partageront un gâteau de 400, soit 11,1 par personne. Et l'auteur du message de poursuivre en prétendant que ce sont les patrons qui veulent faire des plus-values boursières sur les 40 % de part salariale qui représentent les "fameuses cotisations patronales" (dixit l'anonyme du message). Et de rager, en prétendant que les patrons veulent faire main-basse sur ce qu'il appelle des "salaires différés".
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Je ne vais pas faire l'injure à Bernard FRIOT d'avoir produit une telle analyse. Si c'était le cas, je douterais de ses compétences, ceci pour plusieurs raisons.
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(a) Les chiffres de références qu'il donne prennent pour point de départ l'année 1960, en pleine période des Trente Glorieuses, avec des investissements énormes liés à la reconstruction de la France (après la guerre), et la nécessaire industrialisation. L'auteur du message semble méconnaître ce point, et il fait l'hypothèse très hasardeuse que le PIB continuera de croître sur le même rythme. On peut penser que cette hypothèse est fausse ; (1) en raison de la concurrence internationale, de la mondialisation, du développement des pays émergents (Chine, Inde Brésil), les parts du marché mondial dont nous disposons ont toutes les chances de diminuer et ne pourront être compensées entièrement par l'accroissement de la population française ; (2) nous ne pouvons continuer de vivre sur un mode de développement qui épuise les richesses naturelles, les pille, et les gaspille, et on peut imaginer que les théoriciens de la décroissance vont sans doute faire valoir leur point de vue, un point de vue plus respectueux des générations futures et de l'avenir de la planète.
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(b) Le concept de 'salaire différé' en matière de retraite est une imposture. Si cela était vraiment le cas, cela voudrait dire que la retraite par répartition est en réalité une retraite par capitalisation, et que nous serions assurés de voir intégralement réparties, au moment de la retraite entre tous les cotisants, les sommes mises de côté pendant la durée de cotisation, et seulement aux cotisants concernés par cette période. Or justement, la retraite par répartition consiste à faire payer par les actifs les pensions des inactifs, en mutualisant totalement les cotisations (ou presque, car les régimes spéciaux échappent à ce système), et en faisant le pari que le renouvellement des personnes rentrées en "inactivité" sera assuré par celles qui rentrent dans "l'activité". C'est précisément parce que c'est un pari dont les termes initiaux ont grandement changé que le problème se pose. Il y a une solution alternative à cette solution. Elle consiste à ne plus payer de cotisations sociales, ni patronales, ni ouvrières, à verser la totalité du fruit du travail aux salariés, et à laisser à l'épargne le soin de régler la question ou à la solidarité celui de prendre en charge ceux qui, faute de ressources, n'auraient pu suffisamment épargner pour assurer leurs vieux jours. Est-ce cela que veut l'auteur du message qui joue entre les deux solutions, celle du salaire différé, et celle de la solidarité, pour étayer une démonstration boiteuse ?
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(c) Je ne sais pas où l'auteur de ce message a puisé ses renseignements sur la démographie prévisible des inactifs. Je sais simplement que j'ai vu récemment dans divers journaux, que la France comptera très vraisemblablement près de 200.000 centenaires au milieu du siècle. Je ne vois pas comment cet allongement de la durée de vie peut aboutir aux chiffres donnés par cet auteur.
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(d) Enfin et surtout, je constate que l'analyse est fortement idéologique. Cela n'est pas grave en soi. Tout le monde a le droit de penser que MARX a raison EN TOUT. Mais il serait plus honnête que l'auteur dise d'où il parle, et ne tente pas de faire passer pour information objective ce qui est une analyse fortement contestable sur le plan économique, fausse (pour ne pas dire plus) sur le plan intellectuel, et teintée très fortement de haine de classe.
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Je ne peux pas imaginer que le livre de Bernard FRIOT reprenne ces arguments sans les nuancer, sans marquer les hypothèses et leur niveau de vraisemblance, et sans comparer ses solutions avec des solutions alternatives. Voilà ce qui, intellectuellement, me paraît honnête.
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7 commentaires:

tippel a dit…

Je ne comprends pas pourquoi un homme si distingué comme Bernard Friot ne trouve comme invitation que des MJC, ATTAC, le NPA. Il faudrait que ses amis signalent aux potes du PARTI SOCILISTE, à FRANCE 3, ARTE, LIBERATION, MARIANE son existence. Sa théorie est à mettre dans le programme des partis de gauche pour la présidentielle. Un ‘scientifique de l’économie ’ qui apporte des réponses faciles et simples aux problèmes des retraites. Il dit entre autres : « la retraite c’est la solution aux impasses du capitalisme, nous pouvons travailler sans employeurs, et investir sans investisseurs » renversant non ! Obama a eu le prix Nobel de la paix, Bernard Friot devrait obtenir le prix Lyssenko, ce prix attribué chaque année par le Club de l'Horloge est décerné à un auteur qui, par ses écrits a apporté, « une contribution exemplaire à la désinformation en matière scientifique ou historique, avec des méthodes et arguments idéologiques.

potomac a dit…

Si je vous avais demandé, mr Poindron,de me parler de Friot c'est que je souhaitais avoir "l'éclairage" de quelqu'un chez qui ce la tourne beaucoup et bien dans la tête. Vous n'avez pas souhaité acheter ce livre via amazon.com (je vs avais demandé pourquoi, mais...)où il était disponible. C'est dommage car sur base d'un extrait reçu par vous vous m'envoyez un raisonnement dont je ne peux tenir compte pour me faire une idée plus juste car beaucxoup trop partielle et avec bcp de ???.
Et, au fait, avez-vous envoyé votre lettre ouverte aux étudiants et qu'ont-ils r^épondus? Si cela n'avait pas été fait, j'en serais trés déçu.

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Et bien si, M. Friot fait bien l'analyse que vous évoquez ! Je me permets de vous signaler un lien vers une conférence donnée par Bernard Friot à Vannes en Juin 2010 (http://www.dailymotion.com/video/xdrvt0_l-enjeu-des-retraites-bernard-friot_news). Cette dernière devrait pouvoir vous éviter la lecture de son ouvrage tant elle est révélatrice du raisonnement.
Pour commencer, M. Friot affirme tranquillement au sujet de la problématique des retraites, qu'il n'y a pas de souci démographique. Non seulement il le réfute, mais il prétend qu'il s'agit d'un "bobard" inventé par le Gouvernement à seule fin de diminuer les droits et les acquis sociaux, de fragiliser une population. Ce procès d'intention qui témoigne d'un état d'esprit partisan dérive même assez vite vers le militantisme le plus vulgaire : "on se fait bourrer le mou par un petit excité".
Partant de telles prémisses, tout devient évidemment très clair : "il n'y a de problème que dans nos têtes". Et l'avenir du financement des retraites est assuré grâce à la seule augmentation régulière du PIB, qui permet selon lui de redistribuer largement les abondantes richesses produites par le pays. Très fort car il exclut par principe dans le PIB, toutes les richesses produites par le Capitalisme... De ce point de vue, j'ai été un peu étonné de voir défendue dans votre billet, l'idée selon laquelle le PIB ne pourrait continuer à croître, en raison d'une part des progressions de celui des pays émergents et d'autre part de la décroissance liée inévitablement à la protection de l'environnement. Rien pourtant ne dit que l'enrichissement de certains doivent nécessairement s'accompagner de l'appauvrissement d'autres, et rien ne dit que l'accroissement du PIB suppose forcément qu'on épuise, qu'on pille et qu'on gaspille les richesses naturelles...

Revenons à M. Friot dont la suite de la démonstration pourrait être reprise par le savant Cosinus : puisqu'en 1970 il fallait 4 actifs pour payer pour un retraité, et qu'en 2010 2 actifs suffisent, pourquoi un seul ne ferait-il pas l'affaire en 2050 ?
Evidemment à aucun moment de son discours, ce brillant esprit ne prend en considération l'endettement massif imposé par l'Etat aux malheureux actifs qui produisent le fameux PIB. Ni le déficit annuel croissant des caisses de retraite, ni la fabuleuse dette nationale qui s'est accumulée n'est évoquée ne serait-ce que d'un mot.
Occultant habilement tous ces menus détails, il pourrait sans difficulté entonner l'air de la Marquise. Sa rhétorique lénifiante va même jusqu'à asséner que nous n'avons jamais été aussi proches du plein emploi, et que la retraite c'est le bonheur de pouvoir travailler tout en étant "libéré du marché du travail" !
Et pour finir en beauté, il se paie le luxe de conclure avec une logique toute mélanchonienne, qu'il suffirait pour restaurer tout son sens au travail "de se débarrasser des employeurs", et pour investir, de faire de même avec les "parasites absolus" que sont les investisseurs.
Dialectique bien huilée en somme, qui fait toujours beaucoup d'effet sur des auditoires crédules, d'autant qu'elle débouche sur la menace si elle n'était pas suivie d'effets, de voir l'avènement du Front National ou de "Sarkozy au carré ce qui est à peu près la même chose.."

Philippe POINDRON a dit…

Cher lecteur,

Je vais enfin recevoir le livre de Bernard FRIOT. En fait, je me doute bien que la courte citation que j'ai faite de son article reprend une rhétorique parfaitement détachée des réalités. C'est à pleurer. Et je suis désolé de voir que des esprits sans doute brillants puissent divaguer à ce point.
Merci pour vos remarques. A bientôt.

potomac a dit…

Ah, c'est super; déjà que l'analyse ci-dessus est plus clarifiante - et va dans le sens que, malheureusement, je prévoyais; mais nous allons en avoir encore de mr poindron.
Je disais malheureuisement car ce fut un beau rève... et comme tout rève, il est dans les nuages.

tippel a dit…

Pauvre Potomac, rien ne va ...une autre mauvaise fée a cassé votre plus bel espoir, d'une république solidaire, et enfin debarrassée de ce capitalisme qui mange les pauvres. Mais il reste d'autres économistes de gauche bardés de diplômes, tiens le bon professeur Jacquart, Alex Kahn, le frére de Jean Francois lui aussi un bon économiste, Monseigneur Caillot, et ses rois mages. Courage "droit devant" les "moutons-perroquets" comme dirait Adéle, la nouvelle race du socialisme finira par gagner.

potomac a dit…

Pout tippel
C'est super marrant. L'analyse de ce monsieur me concernant est complètement hors de la plaque.
Il y a juste votre agressivité qui m'énerve...alors que vous êtes sur le blog d'un "doux".