mercredi 26 janvier 2011

Un point de vue chinois sur la morale

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Comme je vous l'ai déjà dit, je lis en ce moment avec un extrême intérêt un livre majeur, écrit par un philosophes chinois contemporain, FENG YOULAN. J'en ai déjà parlé, mais je dois dire que j'ai rarement lu un livre aussi clair, aussi subtil en même temps que simple, aussi convaincant que le Nouveau traité sur l'homme (traduit du chinois par le père Michel MASSON, sj. Institut Ricci et les Editions du Cerf, Paris, 2006). Je reviendrai en son temps sur le point de vue si original de FENG YOULAN.
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Pour l'instant, je me bornerai à vous livrer cette réflexion qui réduit à néant les thèses d'une curieuse école de pensée faisant de l'homme un animal comme un autre, tenants dont l'influence ne cesse de grandir. Or donc, FENG YOULAN dit ceci :
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"A ceci [sous-entendu, aux objections que je viens de rappeler et qui insistent sur l'animalité radicale de l'homme] nous répondons que nous pensons possible de rendre compte de la différence entre l'homme et la bête à partir de la conduite morale de l'homme. Mais, à strictement parler, toute conduite morale digne de ce nom doit être en même temps une conduite accompagnée de compréhension consciente. Sinon cette conduite aura beau se conformer aux normes morales, ELLE NE SERA PAS A STRICTEMENT PARLER UNE CONDUITE MORALE". (C'est votre serviteur qui majusculise).
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Cette assertion me semble déterminante, et elle suffit à établir définitivement la différence entre l'éthique, cette science qui définit, extérieurement à la conscience, les comportements qualifiés de normaux à une période donnée de l'histoire, des comportements socialement acceptables, et la morale, science du discernement du bien et du mal par une conscience éclairée. Il en résulte qu'il est toujours possible de définir des comportements conformes à l'éthique prescriptive, mais qu'il est très difficile de porter un jugement sur la responsabilité morale de celui qui a commis un acte trangressant ces normes. En corollaire, il est parfaitement possible de déclarer acceptables des actes qui heurtent profondément de nombreuses consciences. La proposition de loi sur l'aide active à la mort est justement une de ces propositions qui, si elle était votée, rendrait peut-être légal cet acte, mais ne le laverait pas de son immoralité fondamentale.
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Autre conséquence : une conscience éclairée, est une conscience qui fait place à l'autre, accepte d'être regardé par lui, le regarde, et se demande s'il lui ferait ce qu'il n'accepterait pas que l'autre lui fasse. De quoi donner du grain à moudre aux délocaliseurs qui ruinent des familles entières, aux syndicalistes entêtés qui ruinent des pans entiers de l'économie (près de 1000 entreprises en faillite à MARSEILLE après la grève des dockers et des salariés des raffineries), aux grands patrons qui ruinent leur entreprise par leur folie des grandeurs (monsieur MESSIER par exemple), aux journalistes qui colportent des ragots sans preuves, ou des analyses connotées de jugement, d'animadversion, voire de haine, et ruinent des réputations. Qu'est-ce qu'une conscience éclairée ? La question mérite d'être approfondie, et je le ferai à partir de ce que disaient André COMTE-SPONVILLE, Henri HUDE et FENG YOULAN, représentants respectifs d'une morale sans fondement, appuyée sur la recherche seule de la vérité, d'une morale fondée sur la Parole de Dieu (d'un dieu), et d'une morale pragmatiste (au sens philosophique : il n'y a pas de connaissance qui ne passent d'abord par l'expérience).
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C'est tout pour aujourd'hui.

7 commentaires:

Geneviève CRIDLIG a dit…

Réponse bien enregistrée.Merci.

Une réflexion qui m’est venue à la lecture de ce billet : la différence fondamentale entre l’animal et l’homme ne résiderait-elle pas, non comme cela est dit souvent dans l’usage de la parole qui crée des relations, car les animaux, on le sait de plus en plus maintenant, pratiquent le langage avec ses codes et son réseau de relations mais en ceci : que l’animal a une capacité d’éthique mais non de morale et que l’homme, par contre, est ouvert aux deux mais qu’une conduite qui se veut uniquement conforme à l’éthique de son époque et de son milieu - donc essentiellement relative - est en somme inférieure à celle qui essaie de suivre une morale fondée sur sa conscience, elle-même éclairée ou non par un Absolu. ?

Note : ‘Inférieure ‘n’est pas le terme le plus approprié avec toutes ses connotations négatives mais je ne trouve rien d’autre pour l’instant : peut-être ‘moins juste’ ou ‘ moins humaine’ ou ‘moins parfaite’ ou ‘moins accomplie’...

Anonyme a dit…

Cher Professeur.
J'ai pris la liberté de faire quelques traductions concernant le professeur Feng Youlan. Ces traductions ont été faites un peu à la hâte. J'espère qu'elles vous aideront dans votre compréhension du philosophe. Feng Youlan est enseigné aujourd'hui dans les universités chinoises au niveau supérieur, dans les faculté d'histoire et de philosophie.
Je vous livre ces quelques lignes.
Bien à vous.
Rougemer

Anonyme a dit…

Extrait d'un texte écrit par le professeur Feng Youlan présentant le résumé de sa pensée philosophique :

== 1 ==


L'homme est différent des autres animaux.

En ceci que lorsque l'homme fait quelque chose, il a conscience de ce qu'il fait. Il a une propre connaissance ce qu'il fait. C'est ainsi que l'homme a conscience et a une connaissance de ses actions.

L'action que fait l'homme a un sens pour lui. À toutes sortes actions qu'il fait, il attribue toutes sortes de sens. Et toutes ces sortes de sens forment un tout. C'est à partir de ce tout que l'homme va pouvoir constituer son existence.

Voici comment l'homme va pouvoir constituer son existence. C'est ma façon de voir les choses.

Des gens différents vont faire des mêmes choses. Mais la façon dont ces gens vont faire les choses va être différente. Ce qui fait qu'à chaque même action, chaque personne attribuera un sens différent. C'est ainsi que chaque personne a une existence qui lui est propre.

Chaque personne a une existence qui lui est propre, et complètement différente des existences des autres personnes.

En dépit des différences qu'ont les personnes, on peut diviser les existences de ces personnes en 4 catégories ou sphères. En commençant vers le bas, la sphère de la nature, la sphère du gain matériel ( ou de l'utilité ), la sphère de la vertu ( ou de la morale ), la sphère du ciel et de la terre.

Anonyme a dit…

== 2 ==

Quelqu'un qui fait quelque chose, c'est parce qu'il suit son instinct ou les habitudes des us et coutumes de son pays. Un peu comme font les enfants ou les hommes primitifs. Il fait une chose, mais ne prend pas conscience et n'a pas connaissance de ce qu'il fait, ou son degré de connaissance ou de conscience n'est pas très élevé. Alors lorsqu'il fait une action, ça n'a pas vraiment de sens pour lui. Ou bien très peu de sens. La sphère dans laquelle il évolue est, comme j'ai dit, une sphère de la nature.

Quelqu'un a peut-être une conscience de ce qu'il est, il va faire pour lui-même toutes sortes de choses. Cela ne signifie pas qu'il est nécessairement une personne sans vertu ( ou sans morale ). Il peut faire des choses, et le résultat ( de ce qu'il fait ) est bénéfique pour une autre personne, bien que le profit ( ou l'avantage ) soit déjà sa motivation. Alors toutes sortes de choses qu'il fait ont pour lui un sens de gain matériel ( ou d'utilité ). La sphère dans laquelle il évolue est la sphère, comme je l'ai dit, du gain matériel ( ou de l'utilité ).

Il y a encore quelqu'un qui a appris sans doute la vie en société. Il est un membre de la société ( un citoyen ). Cette société est un tout, et il est une partie de ce tout. Il a cette sorte de connaissance et de conscience, il fait toutes sortes de choses qui profitent à la société. Ou bien comme disent les confucianistes, il fait une chose : " droite et juste, sans chercher le profit ou l'avantage " . C'est quelqu'un d'authentiquement vertueux ou moral. Il fait quelque chose en se conformant strictement à un sens moral et à une conduite vertueuse. Toutes les sortes de choses qu'il fait ont un sens moral. La sphère dans laquelle il évolue est la sphère, comme je l'ai dit, de la vertu ( ou de la morale ).

Le dernier. Il y a peut-être quelqu'un qui a appris qu'il y avait quelque chose au dessus du tout de la société, un tout encore plus grand, oui précisément l'univers. Il n'est pas seulement un membre de la société, il est en même temps un membre de l'univers. Il est un citoyen de l'organisation sociale, et en même temps, comme le disait Meng Zi, quelqu'un du ciel. Il a cette sorte de connaissance et de conscience, il fait toutes sortes de choses qui profitent à l'univers. Il comprend le sens de toutes les choses qu'il fait, il est conscient de toutes les choses qu'il est en train de faire. Cette sorte de connaissance et de conscience constitue pour lui la plus haute sphère de son existence humaine, c'est la sphère, comme je l'ai dit, du ciel et de la terre.

Parmi les quatre sortes de sphère de l'existence humaine, on peut distinguer deux groupes : les hommes de la sphère de la nature et de la sphère du gain matériel sont les hommes qui sont maintenant et seulement des hommes. Les hommes de la sphère de la morale et de la sphère du ciel et de la terre sont les hommes que doivent devenir les hommes. Les deux premiers sont les produits de la nature. Les deux derniers sont la création de l'esprit.

== fin ==

Anonyme a dit…

Extrait d'un article parlant du professeur Feng Youlan, un survol de sa biographie


== 1 ==

D'après mes sources :
( un article sur le professeur Feng Youlan )

Le Professeur Feng Youlan est décédé en 1990 à l'âge de 95 ans.

Il aura connu au cours de sa vie la fin des Qing, la République de Chine et la Chine Nouvelle. Les nombreux " changements " attribués à la pensée du philosophe proviennent sans doute des changements rapides des climats politiques. D'ailleurs il le dit dans un de ses derniers livre où il considère l'influence de la société comme la première cause de ( ces ou ses )changement ( s ).

Il est diplômé en 1918 de l'université de Beijing ( Beida ). En 1919, il va aux États-Unis pour étudier.Il revient en Chine et il occupera plusieurs postes de professeur de philosophie. En 1947, on le trouve à Qinghua, en 1952 à Beida.

En 1949, il écrit au président Mao : " Par le passé, j'ai professé la philosophie féodale, puis j'ai aidé le parti Nationaliste ( Guo Min Dang ). Aujourd'hui, je suis déterminé à corriger mon idéologie. Je vais étudier le marxisme. Je vais préparer en une durée de cinq ans, une histoire de la philosophie de la Chine m'inspirant des points essentiels du marxisme, de sa façon de voir les choses et de sa méthode. À quoi le président Mao s'empressa de répondre : " La meilleure façon de faire est de se comporter d'une manière honnête. "

À l'aube de la Révolution culturelle, Feng Youlan, âgé de 70 ans est dénoncé et critiqué, arrêté et incarcéré ( littéralement il est mis à genoux dans l'étable ! ). Lors d'une assemblée du Comité central du Parti, le président Mao fait mention de Feng Youlan. Il dit : " À Beida, on a Feng Youlan, qui professe l'Idéalisme. Mais nous, on ne comprend que le Matérialisme. Si on veut savoir ce qu'est l'Idéalisme, il faut aller le chercher. Ces gens ( comme Feng Youlan ) sont utiles aux intellectuels, et il faut respecter leur personnalité. "

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Anonyme a dit…

== 2 ==

En 1973, il est impliqué dans la " bande des quatre ". Il devient un membre de leur clique. Encore une fois, il se fait rappeler à l'ordre, quelqu'un lui dit de se comporter d'une manière honnête. À quoi il répond d'un air découragé : " L'expérience de la " bande des quatre " a été d'un tel tourment. Toute ma crédibilité politique acquise depuis le début de la libération a été comme effacée, c'est comme si je me trouvais à nouveau dans la même situation qu'au début de la libération. "

Certains ont expliqué les changements de Feng Youlan. On a dit qu'il suivait l'air du temps, et qu'il avait un peu perdu de son identité propre. On a dit encore sur lui que " La politique est toujours suivie de près et portée haut levé par ceux qui détiennent le pouvoir ".

Un autre ( Liang Shumin ) a dit de lui, en reprenant une phrase de Confucius : " Une armée peut être privée d'un maréchal, mais un homme ordinaire ne peut être privée d'ambition. " Un autre encore ( Chen Yike ) a dit de lui : il a eu les principes cohérents, a défendu jusqu'à la mort l'engagement qu'il portait à " l'esprit indépendant ", à la ' liberté de pensée ".

On conclura en disant, avec une attitude compréhensive et pleine de compassion, que les changements de Feng Youlan tout au long de ce vingtième siècle, ont montré qu'il avait fait preuve d'une intégrité politique non sans culpabilité mais d'une intégrité politique qui ne lui faisait pas défaut.

Feng Youlan a été sans aucun doute un créateur de pensée ( au sens philosophique ). Mais sa pensée a t-elle été ou non influencée par le cours des époques traversées ? C'est difficile à dire. Tout comme ses changements et ses non changements ( ont pu le montrer ), il est très difficile de se libérer des circonstances complexes de l'histoire. L'histoire qui laissera pour toujours aux générations futures des problèmes insolubles de conscience .


== fin ==

Philippe POINDRON a dit…

Merci cher Rougemer pour ces précisions. Je tiens FENG YOULAN pour un penseur de premier plan. J'ai lu avec un immense intérêt son Nouveau traité sur la nature humaine. Nombre de penseurs occidentaux devraient s'inspirer de ces réfélexions au lieu de divaguer dans des pensées abstruses. Je recommande absolument à tous mes lecteurs la lecture de cet ouvrage, très accessible et très profond.
Bien amicalement à vous.

Philippe POINDRON