lundi 18 avril 2011

La pullulation des imbéciles

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La pullulation des imbéciles est un phénomène très inquiétant. Il faudrait les plumes réunies de Léon BLOY et de BERNANOS pour la dénoncer avec l'humoristique férocité de mes polémistes préférés.

En Avignon, deux individus se sont introduits dans le musée privée d'Yvon LAMBERT, le collectionneur et amateur "d'art", propriétaire du Piss Christ et initiateur de l'exposition "Je crois aux miracles". Ils ont détruit à coups de masse la photo blasphématoire et, sans le vouloir semble-t-il, détruit aussi une autre oeuvre dont la presse ne donne ni le nom, ni le sujet.

Je dis ici tout net que ces personnes ont mal agi. Le Christ Jésus, le Roi des Pauvres dont nous fêtions hier l'entrée solennelle à Jérusalem, l'a bien dit à Pilate : "Mon Royaume n'est pas de monde". Il revenait à la justice de trancher. Soyons sans illusion. Au nom de la liberté, les magistrats auraient donné tort à Civitas, l'association catholique qui entend promouvoir "la royauté sociale du Christ" sur le monde, sans avoir bien compris qu'une telle ambition est un contresens mystique absolu.

Je ne mettrais donc pas au nombre des imbéciles ces deux iconoclastes. Ce n'est pas de ce côté qu'il faut se tourner pour en contempler les visages satisfaits. Non. Il faut aller voir du côté des élites.

Poursuivons donc l'inventaire. Réaction de monsieur Yvon LAMBERT : "C'est incroyable. Deux oeuvres foutues quand même pour toute cette histoire. Ca devient insupportable." Il vaut la peine d'interroger le sens de cette constatation attristée. Des "oeuvres" ? Des "oeuvres", ça ? La photo de monsieur LAMBERT, qui n'est qu'un homme, plongée dans un pot de chambre et présentée comme oeuvre d'art, qu'en dirait-il ? Il se plaint : "Pour toute cette histoire ?" Un individu isolé, parce qu'il est riche, isolé dans sa forteresse de riche, a tout à fait le droit de souiller son regard et ses yeux avec de l'ordure. A-t-il le droit d'en imposer le spectacle à ses semblables ? Voilà qui mérite réflexion. "Insupportable ?" Ce qui est insupportable, monsieur, c'est le mépris que vous affichez vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas vos choix, à juste titre. Vous piétinez allègrement ce qu'ils ont de plus cher, vous ridiculisez Celui à qui ils entendent consacrer leur vie. Et vous le faites par artiste interposé, sans assumer vos propres choix de vie. Vous le pouvez, parce que vous êtes riche, influent, connu et apparemment dépourvu de cette délicatesse du coeur si chère aux Saints. Ce que vous déplorez, c'est la destruction de quelque chose qui vous a coûté de l'argent, ce n'est pas d'avoir offensé les petits. Les grands sont suffisamment malades des yeux pour vous comprendre, vous suivre, vous encenser, et pleurer avec vous des larmes de crocodiles.

Poursuivons encore. Monsieur AILLAGON, ex-ministre de la culture, en charge du château de Versailles dont il se plaît régulièrement à dénaturer le sens et la beauté en y organisant l'exposition d'oeuvres "d'art" contemporain, (qui n'ont "d'art" que le nom, et n'ont de raison d'être prisées que celle d'être produites par des artistes qui les vendent à prix d'or, dont la "beauté" est en proportion directe de leur cote sur le "marché" [ah ! tout est dit] de l'art) gémit, pleure, souffre : il est "extrêmement choqué" (vite des sels !) et parle "d'un acte de régression très inquiétant". Sans doute pense-t-il à ce qui pourrait arriver aux pièces dont il nous impose la vue dans la Galerie des Glaces ou ailleurs. Car il nous les impose. Il veut éduquer notre sens artistique, paraît-il. C'est un mauvais maître. Ce n'est pas l'art contemporain qui est en cause - il a donné naissance à des chefs-d'oeuvre -, c'est le goût de monsieur AILLAGON.

Poursuivons enfin. Monsieur Frédéric MITTERRAND tout en concédant "que l'une des deux oeuvres pouvaient choquer certains publics", condamne "une telle atteinte fondamentale, la présentation de ces oeuvres relevant de pleinement de la liberté de création et d'expression qui s'inscrit dans le cadre de la loi". Voilà bien le comble de l'hypocrisie, la contorsion mitterandesque la plus pure, qui consiste à faire un pas en avant (ça peut choquer certains publics) pour en faire immédiatement deux en arrière (liberté de création et d'expression).

Mais monsieur le Ministre, vous savez bien que ce n'est pas cela qui est en cause. Ce qui fait question, ce n'est pas la présentation de cette oeuvre, c'est que de l'argent public, gagné par des contribuables (dont certains font partie de ces "certains publics" exquisément désigné par vous avec un tantinet de commisération), vienne aider à la présentation de telles "oeuvres" par le biais d'une publicité outrageante pour les chrétiens. En somme, pour vous la liberté d'expression et de création donne tous les droits. Ne pas mettre de limites à sa volonté et à son désir porte un nom en psychiatrie : perversité. Oh, loin de moi de vous accuser d'être un pervers. C'est l'ensemble de notre société qui est pervertie parce que perverse. On blasphème, comme on délocalise ou ostracise au gré de ses humeurs, de ses désirs, de sa concupiscence. Il n'y a plus de fondement solide aux lois, rien que des idées relevant de systèmes dont nous sommes en train de crever.


Allez, je conclus. Condamnation sans réserve de la destruction de ces oeuvres. Condamnation de l'aide de l'état et des collectivités locales à l'exposition de monsieur LAMBERT. Respect de la liberté de ce monsieur duquel je réclame en réciprocité la même disposition d'esprit.


Décidément, les imbéciles (ceux que définit si drôlement BERNANOS) prolifèrent. "Non à la prolifération des imbéciles !" Est-ce point là un joli mot d'ordre pour une campagne présidentielle ? En tout cas, et puisque qu'aucune parole de regret n'est venue de madame ROIG et que monsieur Frédéric MITTERRAND a exhalé sa douleur dans une plainte à mettre dans une anthologie des thrènes, je persiste. Plus jamais ma voix à ces imbéciles.

5 commentaires:

tippel a dit…

Je ne voudrais pas enfoncer le couteau dans la plaie, mais je ne peux m'empêcher de vous faire part d'un article du journal "LA CROIX.COM" qui informe ses lecteurs sur "l'ordure" exposée à Avignon. Drôle de journal chrétien catholique !!!
Vous avez pu constater que samedi la manifestation de Chrétiens a été présenté par TF1, comme Intégristes, et par FRANCE 2, de Traditionnalistes….

« PARIS, 18 avr 2011 (AFP) - Oeuvre vandalisée à Avignon : le PCF dénonce "un acte barbare" La destruction dimanche d'une oeuvre de l'artiste Andres Serrano présentée à Avignon, mettant en scène un crucifix trempé dans son urine, a été qualifiée lundi d'"acte barbare" par le Parti communiste français (PCF)."C'est un acte barbare, au caractère totalitaire qui met en cause la liberté de création artistique et, au-delà, les libertés d'opinion et d'expression", juge dans un communiqué Alain Hayot, délégué national à la culture du PCF.
Selon lui, cet acte est l'aboutissement d'une "croisade des catholiques intégristes contre la Collection Lambert (...)". » Etc et Etc.…….

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Dans cette affaire, que j'ai pour ma part tendance à considérer comme une pantalonnade, je trouve très réactionnaire, voire péjorativement bourgeoise et incohérente, l'indignation d'Yvon Lambert, Aillagon and co(cos).
Que pouvaient-ils objectivement espérer de mieux vis à vis de cette grotesque provocation, de plus adapté à la situation ? Ne devraient-ils pas plutôt saluer l'ardeur déconstructive avec laquelle les audacieux iconoclastes ont salué « l'oeuvre » (qui n'est de toute manière rien d'autre, au sens propre comme au figuré, qu'un cliché...).
Lorsque Duchamp exposa son fameux et dérisoire ready-made en forme d'urinoir, un artiste non conformiste, Pierre Pinoncelli, entreprit courageusement de le briser avec beaucoup de théâtralisme d'un coup de marteau bien ajusté, en expliquant son geste de la manière suivante : "Ce n'était pas du tout contre l'urinoir ou contre Duchamp, mais contre l'institution qui a consacré ledit ustensile en veau d'or et son auteur en Toutankhamon de l'art moderne. J'ai cassé l'urinoir au centre des mécanismes de sacralisation et des rituels du pouvoir."
Lorsque l'urine se confond avec le sacré, que les excréments se mélangent aux aspirations les plus hautes de l'art, la « barbarie » devient un acte de salubrité publique et un vrai retour au réel, quasi constructiviste. A travers l'expérience brutale de la démolition, c'est une vraie et radicale restructuration conceptuelle à laquelle on assiste...

Philippe POINDRON a dit…

Cher Pierre-Henri THOREUX, merci pour cette contribution si bien argumentée. Elle apporte au débat un éclairage nouveau et substantiel. Je vais aujourd'hui même rédiger un billet à l'intention d'un ami qui tient sur l'art des propos que je n'approuve pas. Je lui avais signalé l'histoire de l'urinoir de DUCHAMP. J'ignorais que cet objet (au demleurant fort utile) ait fini comme il le devait.
Merci pour les billets de votre site. J'invite tous mes lecteurs à aller le consulter. Ils y liront des points de vue originaux, fondés, nourris de références et de culture, un site "d'honnête homme" en somme. Bien amicalement.

Pierre-Henri Thoreux a dit…

M. Poindron, je suis très touché par votre sollicitude à propos de mon blog. Les qualités que vous lui trouvez sont précisément celles que j'attribue au vôtre. ..
Bien que n'étant pas croyant mais simplement agnostique, je comprends la colère et l'amertume que vous suggère l'affaire d'Avignon. C'est un peu pourquoi j'ai cru bon de développer sur mon blog un point de vue complémentaire au vôtre.
Pour tout vous dire, ce qui me choque le plus en la circonstance, c'est qu'on puisse considérer comme de l'art les insanités qui peuplent de nos jours les salles d'exposition. Pour autant les rapports entre la beauté et le sacré sont un sujet permanent de réflexion pour moi. J'avais fait à ce propos, il y a quelques mois, un parallèle entre Benoit XVI et Jeff Koons. Je me permets de vous le signaler.
Bien à vous

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Petit problème d'écriture du lien sur le précédent message. nouvel essai :Jeff et Benoît sont en bateau