samedi 9 avril 2011

Liés et non juxtaposés

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Dans Pilote de guerre, Antoine de SAINT-EXUPERY raconte l'expérience transformante qu'il fit au début de la seconde guerre mondiale et qui lui permit, dit-il, de "déchirer l'écorce" (je cite de mémoire). Elle devait bouleverser la vie de ce grand écrivain, trop tôt disparu - son avion a été abattu le 31 juillet 1944 ; j'ai de bonnes raisons de me souvenir de la date - qui dès lors conçut la vie et l'homme d'une manière toute différente.


Il écrit ceci qui me semble devoir être médité par tous les hommes politiques et par tous ceux que la vie a placé en position de responsabilité.


"On ne peut être frère qu'en quelque chose ; s'il n'est point de noeud qui les unisse, les hommes sont juxtaposés et non liés."


Depuis l'ouverture de ce ce Blog, je n'ai cessé de rappeler que l'homme est un sujet social, qu'il est une personne en relation avec autrui. Je n'ai cessé de pourfendre le concept idiot et abstrait de solidarité (au moins dans le sens que lui donnent les médias et les responsables politiques) quand il se fonde en effet sur la seule contrainte du partage imposé et j'ai proposé qu'on lui substitue celui de générosité (alors que j'eusse préféré le beau mot de charité, entendu non point au sens caricaturé que lui prête les médias bien-pensants de l'heure, mais à celui que lui donne Paul de TARSE dans sa première épître aux Corinthiens).


Les anticléricaux qui, en France, tiennent le haut du pavé, infiltrent la magistrature, le corps des élus (sénateurs et députés), les grands corps de l'état, les rouages décisionnels des pouvoirs publics, ont réussi ce tour de force : chasser de l'esprit public la foi en un destin commun à tous les hommes de ce monde, le remplacer par l'idéologie du plaisir individuel et de l'hédonisme, du matérialisme le plus plat. Et ils récoltent les mauvais fruits de leur mauvaise action. Si rien ni personne ne vient unir les hommes, alors oui, ils sont juxtaposés et non pas liés. Pourquoi s'intéresser à l'autre ? Pourquoi lui manifester de l'attention par le respect des formes de politesse ? Pourquoi ne pas remplacer la solidarité, entendue au sens fort, cette fois-ci, celui d'un commun destin inscrit dans la nature même de l'homme, par une solidarité de pacotille ? Cette solidarité qui consiste à prendre de force aux uns pour le donner aux autres, alors qu'une prise de conscience collective, murie, ancrée dans une saine anthropologie suffirait à faire jaillir dans l'esprit public l'évidente nécessité du partage. Le lien entre les hommes ne peut être noué que par un homme parfait en son humanité, non pas par une idéologie, mère de tous les corporatismes de parti et de la violence civile.


Celui qui unit les hommes, pour moi, est Jésus ; lui seul est l'homme parfait qui justement prouve sa messianité et sa divinité : il nous établit tous fils d'un même Père, et il ajoute qu'il y a dans la maison de ce dernier "plusieurs demeures". Voilà qui suffit à effacer de la réalité, l'abstraction mortifère et violente d'une identité absolue entre tous les êtres humains, vendue sous le vocable mensonger d'égalité. Qui peut nier l'appartenance commune de tout être humain à l'humanité ? Voilà l'identité du genre (mêmeté). Qui peut nier que les conditions concrètes de vie de chacun d'entre sont différentes ? Où est l'égalité ? Certes, et je l'affirme très haut, il y a des différences qui offensent l'image de Dieu en l'homme ; celles-là, nous devons y remédier, mais pas au prix du reniement de notre propre humanité. Et il y en a d'autres qui sont légitimes, nécessaires mêmes, et qui justement tiennent à l'identité de l'espèce, c'est-à-dire des groupes humains et des personnes (ipséité) .


Ah, il nous faudrait des gens qui pensent à l'homme avant de penser au pouvoir, des gens qui réfléchissent autant sur eux-mêmes que sur autrui, des gens qui aient des réponses concrètes et moralement fondées aux conflits, à la violence qu'elle soit ouverte ou rampante. Car la morale est un art de vivre. Elle donne des solutions unifiantes et apaisantes à la seule question qui vaille : Que dois-je faire pour avoir la vie bonne ? Est-ce trop vous demander messieurs de donner un début de réponse à cette question ? Au lieu de parler de plaisir, parlez-nous de bonheur, du vrai, pas du plaisir que vous drapez dans le manteau emprunté à ce beau mot. Ce n'est pas tout à fait la même chose.

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