mercredi 27 avril 2011

Rationalité, rationalisme et islam

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"Ne pas agir selon la raison contredit la nature de Dieu" a dit BENOIT XVI dans sa conférence de RATISBONNE, dont le titre exact était "Souvenirs et réflexions". Pour les philosophes musulmans, il n'en est pas ainsi. La transcendance de Dieu, son altérité rendent à jamais inaccessible la moindre connaissance le concernant. Il est présenté comme un Dieu arbitraire qui n'est tenu ni par la vérité ni par le bien. Le respect que les musulmans ont pour la transcendance de Dieu est admirable. Et il nous interpelle, nous qui nous délectons de Piss Christ et autres ordures prétendues artistiques. Première remarque : prenons garde de ne pas nous attirer un mépris justifié de la part de ces millions de fidèles qui reconnaissent en 'Issa (Jésus) un envoyé de Dieu. Ceci est une première remarque.


Deuxième remarque : il est assez remarquable et intriguant de constater que nombre de pays arabo-musulmans sont à l'heure actuelle secoués de manifestations, répressions, constestations du pouvoir en place. Il y a deux manières d'interpréter ces événements, deux manières qui, du reste, ne sont pas exclusives l'une de l'autre. L'idéal démocratique occidental, les Droits de l'homme, la diffusion des moyens techniques inventés par l'Occident, animent les élites arabes de sentiments contradictoires. Les uns aimeraient que leur patrie puisse bénéficier des libertés publiques et privées en vigueur dans les démocratie occidentales ; d'autres (comme Tarik RAMADAN) y voient des semences de décadence culturelle et religieuse. Nous pouvons avancer sans trop de crainte de nous tromper que la mondialisation des modes de pensée et de consommation est en grande partie responsable d'événements dont nous ne pouvons prévoir l'issue.


Troisième remarque : il est tout de même curieux de voir que des penseurs arabo-musulmans inscrits dans une civilisation qui a aidé l'Occident à redécouvrir les penseurs grecs (PLATON et surtout ARISTOTE) n'aient pas eu dans leur propre pays une influence suffisante pour susciter chez les légistes et les imams interprètes du Coran une réflexion rationnelle. Pour avoir donné une interprétation plus nuancée de cette transmission, Sylvain GOUGENHEIM s'est attirée les foudres de nombre d'imbéciles. La réalité en effet est plus complexe. Bien des philosophes arabo-musulmans ont eu pour maîtres des philosophes arabo-chrétiens. J'ai fait en son temps un petit billet là-dessus. Et je possède dans ma bibliothèque un livre très rare, publié par le père Henri CHARLES, jésuite, en 1936, et intitulé "Le christianisme des arabes nomades sur le Limes et dans le désert syro-mésopotamien aux alentours de l'hégire" (Bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes, section des Sciences Religieuses, LIIe volume, Librairie Ernest Leroux, Paris, 1936) qui nous apprend bien des choses, notamment comment MOHAMMED, le général des TAYÂYE "outre les nombreux maux et les meurtres innombrables qu'il causa en MESOPOTAMIE, voulut faire apostasier ceux des TAYÂYE qui étaient restés chrétiens. Il fit venir le chefs des TAGLIBITES, qui s'appelait MOAD et il le pressait de se faire musulman et d'apostasier. Comme celui-ci ne cédait aucunement à ses flatteries [...], il le fit tuer et défendit de l'ensevelir. Le saint gisait depuis plusieurs jours sur le fumier, sans se corrompre et sans être dévoré par les animaux : alors EUSTHATIUS de DARA demanda son corps, l'emmena et bâtit un monastère au-dessus de son tombeau" (Chronique de Michel le Syrien). Le père CHARLES indique, avec Michel le Syrien, que plusieurs TAYÂYE subirent le martyr. La scène ici relatée a eu lieu en l'an 792 de notre ère. Ainsi, 150 ans après la mort de MUHAMMAD-MAHOMET, la volonté de convertir par la force des peuples arabes christianisés était devenue pratique courante. Il convient de signaler qu'il y avait alors dans ces régions des milliers de prêtres et de moines et des centaines d'évêchés.


Quatrième remarque : plutôt que de condamner en bloc les musulmans et de dénigrer l'islam, il est préférable d'abord de le connaître et de poser deux questions essentielles : (a) d'où le Coran tient-il son attachement à ABRAHAM (et la TORAH), à la personne de JESUS et à celle de MARIE ? (b) Pourquoi, à la différence des textes de l'Ancien et du Nouveau Testament, le Coran est-il parfaitement anhistorique dans sa présentation, alors qu'il a de toute évidence une histoire ?


Cinquième et dernière remarque. Prenons bien garde de ne pas confondre rationalité et rationalisme. C'est condamner toute possibilité d'un dialogue vrai avec les penseurs musulmans. Il en est de fort brillants. On m'accordera qu'il n'a pas fallu attendre VOLTAIRE pour défendre les droits de la raison, et l'on m'accordera aussi que la raison ne saurait être confondue avec le rationalisme, préjugé philosophique qui exclut de son champ d'investigation tout ce qui n'est pas du domaine sensible, expérimentable, et mesurable. On a vu où menait cette impasse ; elle revient à rejeter dans les ténèbres d'une prétendue ignorance et d'une infériorité définitive tout manière de penser qui ne tombe pas sous la coupe de ces exigences : par exemple les phénomènes mystiques. Voilà qui est inacceptable pour un penseur oriental. Les efforts des Sciences humaines pour rejoindre cette scientificité apparaissent bien dérisoires, et c'est pourquoi quelques imbéciles à tête dure les appellent les Sciences molles. Voilà un jugement bien prétentieux. Il me semble qu'il suffirait de constater qu'il existe bien des phénomènes qui échappent à ce rasoir de la pensée systématique, pour mieux comprendre l'homme. N'est-ce pas là l'objet des Sciences humaines ?


C'est tout pour aujourd'hui.




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