jeudi 26 mai 2011

La partie et le tout

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Je me demande si l'une des raisons principales des irritations qui nous saisissent, quand nous avons le sentiment d'un malentendu avec autrui ou d'une méconnaissance de la réalité par lui, ne réside pas dans l'appréhension différente que l'un et l'autre nous pouvons avoir de la réalité. J'écarte ici l'intervention de l'idéologie, pour ne considérer que la connaissance des faits. Il me semble que PASCAL, avec ce génie intuitif et profond qui caractérise sa pensée, avait en son temps exactement rendu compte de cette question.
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Il a dans ses Pensées, cette analyse lumineuse :

"Toute chose étant causée et causante, aidée et aidante, médiatement et immédiatement, et toutes (choses) s'entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître les parties."
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C'est l'ignorance totale ou partielle du tout qui rend si difficile le travail du témoin ou du journaliste. Les uns savent qu'ils ne la connaissent pas et taisent sciemment leur ignorance. Ce ne sont pas forcément des menteurs ou des manipulateurs. Mais ils ne nuancent pas leur propos de ce coefficient d'incertitude nécessaire à la compréhension de leur témoignage ou de leurs récits. Les autres ne connaissent pas leur ignorance et présentent leur témoignage ou leurs récits comme des certitudes, alors que l'un ou l'autre ne sont que le reflet partielle de la réalité. Il est donc nécessaire d'avoir de l'esprit critique pour les lire. Et puis il y a ceux qui ont une connaissance plus importante des faits qu'ils ne veulent bien le dire et qui les taisent : ceux-là sont des menteurs et des manipulateurs. Ils présentent la partie comme le tout. Ils l'isolent de son contexte ; ils en ignorent volontairement l'origine ; et ils en analysent rarement les conséquences. Il nous faut alors envisager ce cas.
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L'affaire DSK est l'illustration la plus éclatante du propos de ce jour. Isoler la personnalité de DSK de sa responsabilité passée à la tête du FMI, de son passé d'homme politique, et de son implication possible dans l'élection présidentielle de 2012, ne voir que les faits allégués contre lui à New York, c'est une erreur de perspective. Et c'est ce que font les médias américains. Les médias français, eux, rentrent dans la catégorie des témoins qui savaient et qui pour des raisons idéologiques (pudiquement appelées "respect de la vie privée") n'ont jamais fait état des possibles écarts de conduite de leur champion. Ils se lamentent sur les conséquences qu'ont les incriminations américaines sur l'avenir politique de la France (socialiste). Il y a les médias des pays émergents qui voient, légitimement, la possibilité de placer un  représentant de leur pays à la tête du FMI, et ignorent, ou feignent d'ignorer l'histoire de cette institution et la tradition non écrite qui veut que l'on élise un européen. La question n'est pas de savoir si c'est juste. La question est que c'est le point de vue partial des pays européens ; ils ne veulent pas voir le désir légitime des pays émergents de participer à la direction des affaires du monde. En d'autres termes la question de fond n'est jamais posée : le bien fondé de la tradition, la nécessité de la changer, le moyen de le faire. On n'en finirait pas d'interroger la manière dont les faits nous sont narrés.
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Bien entendu, jamais on ne pourra envisager la totalité de la réalité, mais on peut faire un effort pour l'envisager sous des angles divers et très nombreux, sans jamais en privilégier aucun ; on peut discuter, reconnaître ses limites : c'est ainsi que l'on peut construire la paix et chercher la concorde des peuples.
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Mais présenter ainsi les choses ne fait pas vendre. Comme le dit si bien Marcel De CORTE dans son ouvrage L'intelligence en péril de mort  : "Les spécialistes de l'information reconnaissent que l'informateur recourt le plus souvent pour capter l'attention du lecteur à une présentation sensationnelle de l'actualité qui en dénature la portée". Les dépêches d'agence, ajoute-t-il "attachent un prix excessif aux nouvelles brûlantes (spot news), à leur valeur de choc psychologique, aux détails croustillants ou extraordinaires, à la présentation des faits non point selon leur ordre chronologique ou dans leur ordre logique de signification, mais à tout ce qui accroche la curiosité, à ce qui provoque un ébranlement, un saisissement, un coup et qui, paralysant l'intelligence, inonde d'émotions la conscience".
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Et il dit encore, mieux que je n'ai tenté de le faire ici : "Il est rare que l'information soit replacée dans son contexte qui lui donnerait son vrai sens. Détachée de son environnement historique et sociologique, elle est démembrée et ses éléments sont regroupés en vue d'influencer le lecteur ou l'auditeur. Cette manipulation de la nouvelle est renforcée par sa présentation matérielle : le caractère employé s'il s'agit d'un journal, le ton à la radio, l'angle de prise de vues ou l'insistance de l'image dans la T.V. L'information est assujettie pour une grande part aux nécessités commerciales, à la propagande, selon le possesseur des Mass Media. Sa valeur objective passe au second plan".
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Tout ceci pour vous dire que nous devons accueillir avec le plus extrême exprit critique les articles, commentaires, informations qui nous sont distillées, "répétées, déformées et amplifiées auprès de qui de droit" sur cette ténébreuse affaire. Equité, justice, respect de la victime présumée comme de son agresseur possible, rappel des contextes, recadrage dans le temps et l'espace, et ... patience. Je concède que ce n'est pas vendeur. Mais les Français, peuple virevoltant et léger, auront tout oublié dans trois mois.
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