mercredi 18 mai 2011

Plaidoyer pour la morale

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Les imbéciles qui grouillent dans la lumière poisseuse des médias, de la culture ou de la politique rigolent sous cape ou même ouvertement quand on parle de morale. Ils voient dans ce mot un catalogue d'obligations ou d'interdits, un système de barrières qui se dressent entre eux et l'assouvissement de leurs désirs, un truc de curetons ou de clercs qui permet à ceux-ci de faire peser sur les épaules des pauvres hommes des fardeaux qu'eux-mêmes ne portent pas, à seule fin de jouir de leur pouvoir.

Or la morale est un art de vivre, d'abord un art de vivre et seulement un art de vivre. Combien de fois ai-je dit ici que la morale est la réponse à cette question lancinante : "Que dois-je faire pour avoir la vie bonne ?"


Je voudrais donc répondre ici aux très importants commentaires faits par deux lecteurs, TIPPEL et ROUGEMER, à mon billet d'hier consacré à l'affaire DSK et intitulé "Silence". J'ajoute que je n'entends pas m'adresser à eux pour leur faire un quelconque procès d'intention ou leur donner une leçon. Mon but est de montrer que le principe de réciprocité est au fondement de toute action pour celui qui vit dans le milieu existentiel moral.


Au livre VI des Entretiens (Lunyu), section 28 (numérotation d'Anne CHENG), ZIGONG interroge CONFUCIUS sur le ren (vertu d'humanité). Et le Maître a cette réponse : "Pratiquer le ren c'est commencer par soi-même : vouloir établir les autres autant qu'on veut s'établir soi-même, et souhaiter leur réussite autant qu'on souhaite la sienne propre. Puise en toi l'idée de ce que tu peux faire pour les autres - voilà qui te mettra sur la voie du ren".

Les juges et les magistrats new-yorkais, n'ont-ils rien à se reprocher en la matière ?


Au livre XII, section 21, FAN CHI demande à CONFUCIUS : "Que faut-il faire [noter le FAUT] pour fortifier sa vertu : déraciner ses vices et vaincre l'illusion ? Le Maître : excellente question ! S'atteler à la tâche avant que de penser à la réussite, n'est-ce pas fortifier sa vertu ? S'en prendre à ses propres vices et non à ceux des autres, n'est-ce pas le moyen de les déraciner ? Quant à l'illusion, n'en voilà-t-il pas un exemple : dans un accès de colère, se mettre hors de soi jusqu'à menacer la sécurité de ses parents ?"

Les journalistes et les commentateurs se sont-ils attelés à la tâche de la vérité ?


La Commission théologique internationale a produit un document de première importance, intitulé A la recherche d'une éthique universelle. J'aime le mot Recherche. Il indique assez que la chose n'est pas évidente et nécessite un dialogue des cultures et des nations.

Dans la Section 51 de cet ouvrage, il y a un excellent commentaire des constatations faites dans les sections antérieures, sur ce qui constitue des tendances spécifiques à l'homme (le désir de conserver sa vie, le désir de la transmettre, le désir d'entrer en dialogue et relation avec autrui) : "A ces tendances spécifiques à l'homme correspond l'exigence perçue par la raison de réaliser concrètement cette vie de relations et de construire la vie en société sur des bases justes qui correspondent au droit naturel. Cela implique la reconnaissance de l'égale dignité de tout individu de l'espèce humaine, au-delà des différences de races et de culture, et un grand respect pour l'humanité, où qu'elle se trouve, y compris dans le plus petit et le plus méprisé de ses membres. 'Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse'. Nous retouvons ici la règle d'or qui est mise aujourd'hui au principe même d'une morale de la réciprocité. Etc."

Et dans sa section 15, cette même Commission théologique internationale rappelle justement ce que le ren est aux yeux de CONFUCIUS : "Mansuétude (SHU4), n'est-ce pas le maître mot ? Ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse, ne le fais pas aux autres" (Entretiens, Livre XV, section 23). Tout le chapitre qui contient cette section, du reste, est consacré aux convergences que l'on retrouve dans les sagesses orientales (chinoises, islamiques), ou gréco-romaines.

Fidèle à la méthode que je me suis efforcé de suivre, je vais poser quelques questions :

Même si j'étais coupable, aurais-je aimé être photographié les menottes aux mains ?

Même si j'étais coupable, aurais-je aimé que l'on me jette en pâture à l'opinion publique avant même d'être jugé ?

Chaque état a le droit de définir ses procédures judiciaires, c'est l'évidence même. Mais chaque conscience a le devoir de protester toutes les fois que l'humain est sali en l'homme.




2 commentaires:

tippel a dit…

« Chaque conscience a le devoir de protester toutes les fois que l'humain est sali en l'homme ». Oui, cher Philippe Poindron, vous avez le droit de protester, mais votre protestation sera bien acceptée en France, mais je pense qu’elle sera mal comprise dans un pays anglo-saxon, ou dans un pays asiatique. Tous les détenus (CANTA, DSK) français du monde préfèrent accomplir leur peine en France que dans le pays qui les a condamnés. Notre justice serait-elle meilleure, plus humaine, en avance sur son temps, j’en doute profondément. C’est vrai aussi que les malfrats préfèrent notre système.

Philippe POINDRON a dit…

Cher TIPPEL, je ne me soucie pas de savoir ce que pense les médias anglo-saxons. Je m'efforce d'appliquer dans ma vie, en y incluant mes jugements (pour autant que je ne me laisse pas emporter par la passion, surtout celle qui vise les responsables socialistes, les médias et les milieux de la culture)ce que je crois juste.
Si DSK est coupable des faits qui lui sont reprochés, il doit être bien évidemment puni. Il était de notoriété publique qu'il avait un penchant avéré pour les femmes. La chose était connue des responsables socialistes dans les moindres détails, y compris les plus scabreux. Sûr d'emporter les élections présidentielles avec DSK comme candidat, ils n'ont pas pris en compte ce côté ténébreux de leur champion. Mais la question n'est pas là. La question est celle de l'agir moral, qui suppose la réciprocité. Toute action dirigée contre autrui et que l'on aimerait pas se voir imposer est immorale. Vous me direz qu'il a bien cherché ce qui lui arrive, ce DSK. Mais la jouissance affichée par certains de voir un puissant rabaissé, au simple motif qu'il est puissant, est à mes yeux d'une rare bassesse. Où est l'équité, quand le droit interdit à l'accusé, jusqu'au grand jury, de se défendre ?
En vérité, et je m'en réjouis, il y a un vieux fond de christianisme laïcisé dans les consciences françaises.
Bien entendu, je n'oublie pas la victime réelle ou supposée. La vérité m'oblige à dire que je la crois victime réelle. C'est abominable. Mais que pensez de la réflexion d'un de ses voisins de palier dans le HLM du BRONX où elle habitait : "J'espère qu'elle va pouvoir gagner beaucoup d'argent !" Je l'ai entendu de mes oreilles. Il faut connaître la mentalité américaaine pour peser cette réflexion à sa juste valeur.
Comme le disait si bien notre grand PASCAL : "Plusieurs choses vraies sont contredites. Plusieurs choses fausses sont assenties. Ni la contradiction ni l'incontradiction ne sont marques de vérité". Là est toute la question de fond.
Amicalement.