mercredi 4 mai 2011

Un géant chez les pantins

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Nous aurions bien besoin de voir surgir sur la scène publique de notre pays un homme de cette envergure intellectuelle, morale et même, eh oui, politique. Il viendrait donner un peu de chair aux débats qui agitent les responsables des principaux partis, dont nombre hélas, me semblent être des sortes de pantins se mouvant au gré des sondages d'opinion.


Car celui qui a écrit le beau texte que j'ai présenté dans mon billet d'hier n'est autre que Jean JAURES. Je l'ai trouvé dans un ouvrage passionnant que l'on doit au Pr Rémy PECH, spécialiste d'histoire rurale, et ancien Président de l'Université de Toulouse-Le-Mirail (Jaurès paysan, éditions Privat, Toulouse, 2009). En dédicaçant son ouvrage à son père, ouvrier journalier et à ses deux grands pères, l'un vigneron coopérateur, l'autre ouvrier journalier puis régisseur, Rémy PECH ne fait pas mystère de ses origines que les imbéciles déclareraient modestes, non plus que de ses probables sympathies pour le socialisme. C'est une telle simplicité que j'aime chez lui. Par ailleurs, il est d'une grande probité intellectuelle, et n'hésite pas à souligner que certaines des options de JAURES (une épouse croyante et pratiquante, une fille qui fait sa première communion, au grand scandale des VIVIANI, Camille PELLETAN et autres personnalités que l'on ne connaît plus que par les Lycées, Collèges, Boulevards, Rues auxquels on a donné leur nom, et qui ne me semblent pas des modèles de tolérance) faisaient de lui un homme de nuances, d'empathie, d'interrogations et parfois de contradictions.


Allons plus loin. Ce que j'aime chez JAURES, c'est que c'est un penseur, et un penseur qui s'intéresse à l'homme CONCRET. Ce n'est pas un idéologues, c'est un idéaliste généreux. Certes, il a dû parfois concéder aux "valeurs dominantes" de la gauche : anticléricalisme (modéré), croyance non critique mais compréhensible en la lutte des classes, certitude que le socialisme et une certaine collectivisation sont les clés de la libération des individus (et non des personnes), internationalisme. Mais ces concessions, il les a faites avec toutes les nuances et le respect qu'il devait à ses concitoyens.


Ainsi il est intéressant de le voir dire dans son travail sur les caractéristiques d'un socialisme à la française ceci, que les imbéciles (je ne donne pas de noms) devraient méditer. Il affirme que le socialisme français doit être passionnément républicain, qu'il sera à la fois scientifique et idéaliste, qu'il sera non pas inévitable - comme MARX le disait avec un sens prophétique pour le moins discutable - mais JUSTE (ce qui n'est tout de même pas la même chose : l'inévitable inclut la violence, le juste, la conviction et l'éducation), et il ajoute :




"3°Enfin, et ceci est décisif, le socialisme français s'appliquera avec une énergie particulière, à sauvegarder dans l'organisation collectiviste, les énergies individuelles, le droit individuel, et pour tout dire la propriété individuelle en ce qu'elle a de légitime et d'essentiel."




Comme le souligne Rémy PECH, JAURES avait une extraordinaire capacité de synthèse. Elle frisait parfois l'union des contraires. Mais il avait une telle idée de la noblesse de l'homme qu'il ne doutait de rien pour ses congénères. Aussi, je dédie cette pensée à tous les polémistes, à tous les contempteurs de quotas, aux haineux du contrôle de l'immigration, à tous les adulateurs des confusions exotiques, ceci qui me semble bien adapté à la situation contemporaine de la France :




"De même que l'organisation collectiviste de la production et de la propriété suppose une forte éducation des individus, tout un système de garanties des efforts individuels et des droits individuels, de même la réalisation de l'unité humaine ne sera féconde et grande que si les peuples et les races, tout en associant leurs efforts, tout en agrandissant et complétant leur culture propre par la culture des autres, maintiennent et avivent dans la vaste Internationale de l'humanité, L'AUTONOMIE DE LEUR CONSCIENCE HISTORIQUE ET L'ORIGINALITE DE LEUR GENIE."




Pour avoir cru à l'unité du genre humain (philosophiquement et ontologiquement réelle) et à la fraternité des socialistes allemands, JAURES a été assassiné par un fou le 31 juillet 1914. Il n'aura pas eu l'âme déchirée par la mise en pièce de son idéal, par ces massacres organisées, par cette guerre totale, qui contredisaient factuellement tout ce en quoi il avait cru.




Je ne puis m'empêcher de terminer en vous faisant part de cette prière que le célébrant fait au cours de la messe : "Ramène à Toi, Père très aimant, tous tes enfants dispersés". Le souhait de JAURES était beau et de la même veine. Ses buts étaient nobles et je les partage. Les moyens qu'ils comptaient prendre avaient l'apparence de l'évidence, mais ils n'en avaient que l'apparence. Paul de TARSE l'avait bien dit dans l'une de ses lettres. Il ne suffit pas de voir le bien pour le faire. Video meliora deteriora sequor. Nous ne pouvons pas échapper à notre humaine condition d'êtres blessés par le péché.




Bonne journée.








3 commentaires:

Pierre-Henri Thoreux a dit…

La figure de Jaurès est nimbée d'une aura étrange. Est-ce son destin tragique qui contribue à lui conférer ce pouvoir de fascination ? J'avoue que je m'interroge.
Je n'ai découvert qu'assez récemment le "grand homme" à travers ses écrits, et j'ai été édifié. Je ne partage pas hélas, cher M. Poindron votre opinion émerveillée.
N'oubliez pas que si le socialisme sous sa plume est une "grande révélation religieuse", "il exclut l'idée chrétienne qui subordonne l'humanité aux fins de Dieu, à sa gloire, à ses mystérieux desseins".
Sa vision, associant collectivisme et liberté individuelle est une chimère qui est au fond celle qu'on retrouve au coeur même du discours de tous les idéologues socialistes... avant qu'ils ne parviennent au pouvoir. Après, dans le meilleur des cas ils mangent leur chapeau et leur drapeau rouge, en reniant leurs grands principes, au pire, ils installent une effroyable machine, niant l'essence même de l'être humain...

Philippe POINDRON a dit…

Cher Pierre-Henri, ce que j'aime chez JAURES c'est sa générosité. Qu'il eût été collectiviste acharné, véritablement socialiste est une chose exacte. Il a dû souvent outrer le trait à des fins électorales. Mais pour rien au monde, pour autant que je puisse me faire une idée à travers son oeuvre, il n'aurait admis l'injure, l'insinuation, la dérision vis-à-vis de ses adversaires,tous ces moyens qui sont les armes préférées de la dinde du Poitou, de la poularde des Flandres, ou de Xyloglosse de Bourgogne [ceci étant dit au deuxième degré]. C'était un penseur, un vrai. De plus, il aimait sa patrie. Et c'est assez étrange que de le voir dire d'un côté qu'il ne dissimulerait pas un pli du drapeau et de l'autre de le voir célébrer l'internationale humaine. Il a parlé des patrons et des ouvriers d'une manière magnifique("non ce n'est pas ainsi [sous-entendu comme des ennemis] qu'ils devraient se regarder l'un l'autre, mais avec une sorte de pitié réciproque qui serait le prélude de la justice"). Bref, je crois qu'il était ouvert à un dialogue éthiquement fondé. Il était dans l'erreur la plus complète quant à la nature humaine. Et vous le dites fort bien. Mais il n'était pas sectaire. En tout cas, il me semble être très au-dessus des minuscules éléphants, éléphanteaux et éléphanticules qui s'agitent dans les coulisses de la rue de Solférino. J'entends d'ici le bruit de la porcelaine qui se brise sous leurs pas. Et on n'a pas fini de l'entendre...
Merci encore pour cette contribution. Je reviendrai sur la très importante dernière partie de votre contribution.

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Je vous accorde au bénéfice du doute, que Jaurès n'aurait pas souhaité l'horreur véhiculée par le communisme.
il reste quand même selon moi un idéologue néfaste, qui a largement contribué à propager la mystification socialiste...
Bien à vous.