jeudi 2 juin 2011

Citoyen du monde

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Reprise il y a quelques jours de la discussion avec mon ami sur sa revendication d'être ou de se sentir (ce qui n'est pas la même chose) "citoyen du monde". Il me disait que cette notion est "un concept philosophique". Je lui accorde que cela est vrai. Mais il s'agit de savoir si le concept a un contenu réel, ou a jamais rencontré une quelconque possibilité de concrétisation. Mes objections, disait-il, sont de nature politique et non pas philosophique. Il faut donc que je lui réponde sur ce point.
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Que veut-dire "citoyen du monde" ? Là est la première question. Est-ce qu'il faut entendre par cette expression que l'homme est partout chez lui, où qu'il se trouve, et qu'il est effectivement "citoyen", membre de la cité, du pays, où il réside quels que soient cette cité ou ce lieu ? Ce serait là ÊTRE ou se SENTIR citoyen du monde, en effet. Mais ÊTRE n'est pas possible pour les raisons que j'ai déjà dites, et se SENTIR n'a aucun contenu concret puisque politiquement ce sentiment ne repose sur aucune autre réalité que celle de son affirmation (pour l'instant parfaitement gratuite).
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Cette revendication correspond-elle à une orientation profonde  de la nature humaine ? C'est une deuxième question. Il faut interroger l'histoire passée et présente pour tenter d'y répondre. Elle nous apprend qu'en ses débuts l'humanité voyait les êtres humains se regrouper en hameaux, puis en villages puis en cités plus ou moins grandes revendiquant leur souveraineté sur un territoire plus ou moins étendu, sans qu'apparaisse encore l'idée de nation, au sens biblique de peuple, d'origine plus tardive. Puis naît, avec la division du travail, l'institution royale puis impériale. Ce qui est frappant dans cette histoire antique, c'est l'importance que les rois ou les chefs des nations accordent à la terre. Que ce soit chez les Amorites du XVIIIe S. avant J.-C. ou chez les Chinois de la dynastie ZHOU, le souverain investit ses vassaux "per glebam" en donnant à chacun d'eux avec un territoire, une motte de terre prise en sa capitale (Chinois) ou dans la ville conquise (Amorites), signe de rentrée en possession (Chinois) ou de prise de possession (Amorites). L'histoire nous apprend ensuite que les guerres se terminent toujours par des échanges de territoires, des annexions ; toujours de la terre. Quand ces annexions sont forcées, les peuples assujettis se révoltent et peu à peu, naît le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, puis les guerres d'indépendance. Je ne crois pas utile de donner la liste de ces guerres souvent atroces, interminables, et dont certaines n'offrent pas d'issue. Il me suffit de rappeler la guerre de TCHETCHENIE ou encore le conflit israélo-palestinien. Il faut de puissants motifs psychiques pour accepter de perdre la vie à cause de sa terre. Il paraît raisonnable d'admettre que le désir d'avoir une patrie, un lieu ou se poser, ou planter sa tente et son feu, est ancré profondément dans la nature humaine. Et je n'excepte même pas de ce désir les peuples nomades qui revendiquaient pour leur usage des espaces bien précis au-delà desquels ils savaient n'avoir aucun droit de pâture.
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Je crois même que le ressentiment de nombreux peuples européens contre "BRUXELLES" repose sur l'idée que leur personnalité, leur culture sont piétinées par des fonctionnaires devenus apatrides (pour des raisons politiques), exemptés d'impôts, exilés loin de leur pays natal. Je crois également que la mondialisation est remise en cause pour les mêmes raisons. La volonté violente de transformer le monde en un immense et unique marché - ce serait là la cité du monde - rencontre une résistance croissante. Elle est d'ailleurs porteuse d'une très forte contradiction interne, car ceux-là même qui la répudient, sont souvent des internationalistes convaincus et qui souvent proclament "prolétaires de tous les pays, unissez-vous".
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Pour terminer ce billet qui, me dira un autre ami, manque de sobriété, voici deux déclarations de Jean-Paul II sur la patrie.
"(...) la patrie est un patrimoine qui comprend non seulement une certaine réserve de biens matériels dans un territoire donné, mais est avant tout un trésor, l’unique en son genre, de valeurs et de contenus spirituels, c’est-à-dire de tout ce qui compose la culture d’une nation (...)".
Jean-Paul II, Audience aux membres de l’université Jagellone de Cracovie, 11 septembre 2000.

La patrie, notre famille

"Le développement du concept de "patrie" est étroitement lié à celui du concept de "famille" et, en un sens, chacun en fonction de la nature de l’autre. Et vous, peu à peu, en faisant l’expérience de ces liens sociaux plus larges que les liens familiaux, vous commencez aussi à participer à la responsabilité du bien commun de cette famille plus vaste qu’est la "patrie" terrestre de chacun et de chacune d’entre vous. Les grandes figures de l’histoire, passée ou contemporaine, d’une nation sont aussi les guides de votre jeunesse et elles favorisent le développement de cet amour social qu’on appelle le plus souvent "amour de la patrie"".
Jean-Paul II, Lettre apostolique à l’occasion de l’année internationale de la jeunesse, 31 mai 1985.
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Je conclus : l'amour de la patrie est précisément ce qui permet d'incarner le lien social qui unit tous les hommes physiquement proches  les uns des autres. Il est le ciment du civisme sur quoi repose le bien-vivre ensemble. Et si je crois que tous les hommes sont ontologiquement frères, il me paraît assuré que cette croyance passe d'abord par l'amour de ceux que je côtoie.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Professeur :

" Citoyen du monde " est une notion qui me fait un peu sourire. Comment pourrait-on être citoyen d'un monde désuni, injuste, où la plupart des être qui naissent en ce monde n'ont aucune chance de vivre dans la dignité à laquelle a droit chaque enfant. Ce monde est dans les mains d'une minorité qui ne tient pas à perdre son pouvoir et fera tout, jusqu'à la destruction du monde, pour le maintenir en place.

Dans leur conquête du monde, les Occidentaux ont apporté la technique, ce qui a contribué à alléger le fardeau de beaucoup de personnes. Mails ils ont pillé l'âme des peuples millénaires en faisant croire à une vie meilleure.

Ce qui me rappelle un fait historique : les Communistes ont interdit le bandage des pieds des femmes, ce qui peut paraître être de bon coeur de leur part. Mais c'était en fait pour mieux utiliser la force féministe dans les usines-prisons. En effet chacun devait apporter son quota d'utilité. Pas question de se la couler douce.

Un de mes amis chinois me disait à ce propos, je le cite


封建社会缠紧的是脚,当今紧缠的是头;
封建社会封闭的是关,当今封闭的是心。

Anonyme a dit…

ce qui signifie :

La société féodale bandait les pieds, mais la société moderne bande les cerveaux.
La société féodale s'enfermait dans des murs, mais la société moderne n'ouvre pas son coeur.

Est-ce désespérant à ce point, me direz-vous ? Non, je pense que les hommes se sont trompés de chemin, et surtout qu'ils font trop confiance à des gens peu recommandables. Après tout, même cette minorité dominante est prête à sacrifier les peuples de la Terre pour s'imposer. Mais comme on dit en Chine : le peuple lui n'a pas peur de mourir, alors pourquoi lui en veut-on à ce point ?

Avec mes respects, cher Professeur.

Philippe POINDRON a dit…

Cher Rougemer,

Je n'ai pas encore trouvé le temps de répondre à votre commentaire, comme toujours étoffé et érudit.
J'ai toujours dit ici, écrit et proclamé, que le premier devoir d'un peuple fier d'être ce qu'il est est de respecter dans leurs coutumes, leurs langues et leurs lois tous les autres peuples, sans aucun esprit de domination. Nous avons commis, nous occidentaux, une mauvaise action en allant coloniser ceux que monsieur Jules FERRY considérait comme des "races inférieures". Les guerres conduites contre la Chine, celles de l'Opium notamment, ne semblent pas avoir chatouillé les belles consciences de l'époque. Quand un peuple à la civilisation plurimmilénaire et raffinée est humilié, il ne peut que nourrir du ressentiment contre ceux qui se sont rendus coupables de cette humiliation. La Chine contemporaine nous le fait bien sentir (et non pas savoir, selon sa manière à elle de penser). Mais réfléchissez bien à cela : les guerres coloniales ont coïncidé avec la montée de l'athéisme et l'influence croissante prise par certains courants de pensée dans la vie politique (française notamment) dans les pays européens.
Pour les raisons que vous dites, et d'autres encore, je ne crois pas que le concept de "citoyen du monde" soit opératoire. C'est un moyen mis au service des grandes entreprises multinationales pour étendre leur pouvoir sur le monde entier. Il y certes des personnes de bonne foi qui se disent "citoyen du monde" (comme mon ami). Mais elles ne voient pas que ce concept philosophique n'est pas incarné et surtout ne doit jamais l'être si l'on veut préserver la paix du monde.
Le cas de la Chine, que vous connaissez mille fois mieux que moi, est très particulier. Pour autant que je puisse commencer à l'entrevoir, il y a là-bas une permanence extraordinaire de la culture populaire, et le pouvoir communiste s'y cassera les dents.
Il y aura d'autres mouvements du type FALUNGONG.
Bien amicalement.