jeudi 16 juin 2011

Quelques précisions

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Comme l'a fort bien souligné Pierre-Henri THOREUX dans son commentaire de mon dernier billet, nombre de chantres de la liberté, dont l'inénarrable ONFRAY, se réclament d'Etienne de la BOETIE pour rejeter toute espèce de hiérarchie et de pouvoir susceptible de limiter le désir des individus. Il me faut donc faire ici quelques remarques pour préciser ma pensée.
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Etienne de La BOETIE parle de servitude "volontaire". Il veut dire par là que des êtres humains acceptent volontairement d'obéir à des maîtres tyranniques, moyennant un minimum de bien-être et de jouissance, quitte à perdre leur âme et leur liberté.
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L'homme étant un animal politique, il est évident qu'il lui faut des chefs pour organiser la vie de la Cité. Tout le problème consiste à savoir ce qui légitime le pouvoir du ou des chefs. Est-ce le suffrage universel ? La chose serait évidente si les candidats qui se présentent à notre choix sont dotés de la vertu des chefs. Du temps des Empereurs de Chine, c'est la vertu du fils du Ciel qui le légitimait. Et s'il venait à manquer de vertu, alors il perdait le Mandat du Ciel, et une autre dynastie venait remplacer celle dont le dernier héritier avait failli. Imaginons que DSK ait pu se présenter à l'élection présidentielle. Tout indique qu'il aurait été élu. Est-ce donc ce genre de chef que nous désirons ? Je ne le pense décidément pas, quand bien même l'homme posséderait une grande habileté qualifiée de "politique", alors qu'elle n'eût été que "politicienne". Que cela plaise ou non, un "chef" doit vivre dans un milieu existentiel moral.
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La notion de Mandat du Ciel conféré à l'Empereur de Chine est tout à fait centrale. On peut juger qu'elle relève d'une pensée antique et quelque peu magique. Je ne crois pas que ce jugement soit fondé. Du reste, dans l'Occident chrétien, nous pouvons méditer la réponse de Jésus à PILATE : "Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut". Mais alors que veut dire exercer le pouvoir ? Il n'y a aucun pouvoir légitime qui s'exprime en utilisant la contrainte (les lois ou la force). Un pouvoir légitime est d'abord un pouvoir de service. C'est la leçon que Jésus a donné à ses disciples au soir du Jeudi saint après le Lavement des pieds : "Que le plus grand soit comme celui qui sert". Il n'est d'autorité qu'au service de ceux sur lesquels on l'exerce. Tout le reste, toute la pompe, tout le cérémonial, toute les trompettes de la Garde Républicaine, toutes les sirènes des motards, tous les huissiers à chaîne réunis en Congrès ne pourraient rien changer à cette évidence. Il me semble qu'on est loin du compte.
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Mais le chef qui aime ceux qu'il dirige n'est pas aimé, car l'exemple de sa vertu est insupportable à regarder. Et c'est pourquoi les peuples préfèrent les démagogues qui leur passe la plume devant la bouche.
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A demain.
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5 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Professeur,

J'ai toujours constaté que malgré leurs changements politiques et historiques, les pays et les peuples restaient fondamentalement les mêmes, n'en déplaisent aux progressistes qui pensent le contraire.

Il existe un débat en ce moment en Chine, sur la " divination " de Mao Zedong.

Ainsi selon la phrase

把毛泽东还原成人 qui est le titre d'un ouvrage d'un intellectuel chinois.

il serait question de redonner à Mao un aspect plus " humain " afin d'admettre ses erreurs et ses comportements excessifs, respectivement, admettre les millions de morts causée par sa politique, et d'une manière plus personnelle les quelques centaines de femmes que Mao a violé au cours de sa vie.

D'après une autre façon de penser, le peuple chinois serait capable d'admettre les erreurs et les débordements, en compensation de ce que Mao a pu lui apporté. Qu'est-ce que Mao a apporté au peuple chinois ? une certaine dignité, le fait d'avoir mis à la porte les étrangers envahisseurs !

Il n'est pas question ici de trancher. Par le passé d'ailleurs, si l'empereur avait des dizaines sinon plus de concubines, s'il avait causé la mort de centaines de milliers de personnes, c'était pour le bien de la Chine. Mao représente bien dans l'esprit chinois l'incarnation de ce pouvoir ancestral.

Je ne sais pas si le pouvoir de l'empereur de Chine relève d'une pensée antique et quelque peu magique comme vous le dîtes. La notion de " fils du ciel " ( toujours en vigueur au Japon, en passant ) était le lien entre les hommes et les forces qui les dépassent, autrement dit le ciel. Et ce lien était symbolique. En un mot, l'empereur lui-même était un symbole.

Les Chrétiens ont une notion du monde qui leur est propre. Ceux qui ne partagent cette notion ont des autres notions tout aussi légitimes. Le grand tord des hommes de cette planète c'est que certains d'autres eux veulent imposer à d'autres leur notion. Et si ces autres ne veulent pas. alors les certains d'entre eux procèdent à leurs destructions.

En voulant diviniser Mao, le rendre symbolique comme on rendait symbolique l'empereur, les chinois ont voulu sans doute se protéger afin de préserver leur culture et leurs traditions ancestrales.

S'il est difficile à comprendre une culture qui n'est pas la notre, il est d'autant plus difficile de porter un regard impartial sur la notre.

Avec mes respects, cher Professeur.

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Ce débat sur les qualités et défauts des dirigeants et sur la nature et l'origine du pouvoir dont ils sont investis est passionnant. Je voudrais toutefois préciser pour ma part que je suis très attaché à la conception démocratique "à l'américaine" de ce pouvoir.
Dans l'Etat de Nature, comme le faisait remarquer le philosophe anglais John Locke, aucun homme n'est doté d'un quelconque pouvoir de nature immanente ou divine. Aucun individu ne peut se targuer d'être par sa naissance au dessus des autres.
La force du système américain est de permettre à n'importe quel citoyen de devenir un haut dirigeant. Charge à lui de démontrer qu'il le mérite et donc de recueillir les suffrages de ses compatriotes. Mais cela ne suffit pas. Comme le peuple peut se tromper sur les vertus de celui qu'il élit, le système doit garantir que ce pouvoir ne puisse être abusif ni trop prolongé. Ainsi les mandats électifs sont courts et ne peuvent être renouvelés indéfiniment.
Enfin, l'existence de contre pouvoirs est fondamentale. Ainsi en face de l'exécutif prennent place un pouvoir législatif puissant et une autorité judiciaire indépendante des deux premiers, et garante du respect de la Constitution. Moyennant quoi on obtient un vrai équilibre, une vraie légitimité et surtout une grand stabilité. La démocratie américaine est la plus ancienne au monde et ses fondements n'ont quasi pas bougé depuis plus de deux siècles ! Pour autant les politiciens ne s’incrustent pas dans les palais de la République comme chez nous. Ils remplissent juste une mission limitée dans le temps, puis redeviennent citoyens comme les autres.
S'agissant de Mao, j'ose espérer cher Rougemer que votre propos ne trahit pas quelques indulgence à l'égard de cet abominable personnage; ce tyran qui s'est arrogé un pouvoir absolu sans aucune légitimité, et qui n'a fait que martyriser de manière indicible son peuple au nom d'une idéologie insensée, ne mérite assurément que dégoût...

Anonyme a dit…

Cher Monsieur Thoreux,

Merci d'avoir porté certaines précisions sur votre attachement à la conception démocratique " à l'américaine ", comme vous le dîtes.

Je me demandais d'ailleurs si le " rêve américain " ne s'inspirait pas de cette vision.

En ce qui concerne Mao Zedong, ma position est simple, il s'agit plus de comprendre " le fait Mao " que d'essayer de condamner ou d'approuver, voire être indulgent à son égard.

Cependant comme le disent les Chinois eux-mêmes, il y a Mao en tant que tel, c'est-à-dire l'individu, et ceux qui l'ont porté au pouvoir et qui le porte encore aujourd'hui sur le piédestal. Tout l'entourage de Mao connaissait Mao, ainsi qu'une parti du peuple. Alors, que s'est-il passé ?

Je n'oserai affirmer avec certitude que le " fait Mao " n'a été qu'une conséquence de l'essai de colonisation de la Chine par le " G8 étranger " de l'époque. Des concessions étrangères obtenues de manières peu avouables, aux parcs et aux places interdits aux Chinois et aux chiens, sans compter la coalition occidentale voulant l'éclatement de ce " colosse " vieux de 5000 ans dixit le vocabulaire de l'époque, rien en effet n'a été fait pour ne pas faire émerger ce monstre.

Avec mes respects, Monsieur Thoreux.

Philippe POINDRON a dit…

Comme Pierre-Henri THOREUX, je suis très attaché à la vision que TOCQUEVILLE a de la démocratie en Amérique. Je me demande simplement si elle n'est pas idéalisée ! La question du pouvoir et de sa légitimité est fondamentale en effet. L'ontion démocratique est évidemment importante. Mais elle n'est qu'un des éléments qui rendent un chef légitime (c'est du moins ma conception personnelle). Dans nos sociétés développées, les rouages complexes de l'état multiplient les risques de voir des tyrans aux petits-pieds faire peser leur férule imbécile sur les administrés. Les chefs doivent y veiller. De plus la loi ne rejoint pas toujours la morale. Quand elle vient heurter les consciences, elle leur fait violence. Comment faire ? Je ne vois pas de solutions. La protestation ? La résistance ? L'exil intérieur ? Le silence ? Et comment chasser un tyran du pouvoir ? Par la force (Lybie ? Syrie ?)?. Il me semble que c'est par l'exercice de la vertu de tous et de chacun que les moeurs politiques peuvent s'adoucir et que les chefs sont vraiment légitimes. En somme il y a adéquation entre légitimité et exemplarité.
A l'intention de ROUGEMER je dirai que je trouve assez admirable la conception chinoise antique du pouvoir impérial (si je l'ai bien comprise). L'Empereur a pour devoir de maintenir l'odre cosmique et l'harmonie du monde et il est le lien entre le ciel et la terre (c'est du moins ce que j'ai lu à propos do commentaire su sinogramme WANG).
Avec mon admirative amitié pour des lecteurs si érudits et si respectueux de l'autre.

Anonyme a dit…

Cher Professeur,

Oui en effet, vous avez très bien compris. Cela rejoint mon idée du lien symbolique de l'empereur entre le ciel et les hommes. L'empereur était plus qu'une personne. D'ailleurs il pouvait tout aussi bien être une femme sous certaines dynasties. Et cela ne changeait rien.

En chinois les termes sont éloquents :

皇帝、qui désigne l'empereur en tant qu'assisse politique, l'empereur éclairé par excellence car bien conseillé.

皇上、qui désigne l'adresse à l'empereur pour les sujets, même sa mère le nommait ainsi
( ou 当皇上 qui signifie " faire l'empereur " )

陛下、qui désigne une autre adresse à l'empereur plus ancienne, sous les Hans par exemple, qui signifie celui qui descend les marches du perron du palais impérial. ( ce qui veut dire que les autres qui s'adressent à lui sont au dessous de lui )

上帝、 enfin, qui signifie " dieu " ou " au delà " de l'empereur, " sur " ou au-dessus de l'empereur.

J'espère que mes modestes connaissances vous éclaireront un peu plus.

Avec mes respects, cher professeur.