samedi 29 octobre 2011

Le décalogue à l'envers

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Grande discussion avec cet ami qui me faisait, il y a peu, le (gentil) reproche d'être conservateur. Il avançait la thèse, apparemment raisonnable (a) que dans un état laïc, la loi n'a pas à tenir compte du milieu existentiel transcendant et (b) que la définition du bien et du mal évolue avec les conditions historiques. Ainsi, et par exemple, l'esclavage a été toléré, y compris par des membres de l'Église, voire même de l'Église catholique(encore que d'assez nombreux théologiens et mystiques médiévaux, sans parler de MONTAIGNE (assez raisonnablement pieux pour n'en pas dire plus), ou de LAS CASES ou des Jésuites des Reduciones (orthographe non garantie) du PARAGUAY aient dénoncé ou combattu l'esclavage dont l'ignoble FOUCHER et les armateurs nantais réclamaient le maintien à la Convention (voir un petit billet consacré à cette ignominie).
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J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer ici même la différence qu'il y a entre des obligations et règles morales purement casuistiques (qui relèvent - utilisons les mots adaptés - du comportement et donc de l'éthique) et des obligations et règles à caractère apodictique (qui relèvent de la morale et de la réponse à la question : que dois-je faire pour avoir la vie bonne ?). Je dis et je maintiens qu'il est impossible d'avoir une société politique pacifiée - ce qui n'exclue pas les conflits en matière de problèmes casuistiques - qui dans ses lois ne tiendrait pas compte du droit et de la morale naturels.
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Pour bien faire comprendre ce que je veux dire, je me propose de vous donner ici une version antinomique du Décalogue, et de vous laisser conclure vous-mêmes, étant entendu que j'ai exclu des commandements biblique tout ce qui a trait à leur aspect religieux :

-N'honore pas ton père et ta mère.
-Tue (ou il n'est pas interdit de tuer ou encore tu as le droit de tuer).
-Commets l'adultère (ou il n'est pas interdit de commettre l'adultère ou tu as le droit de commettre l'adultère).
-Vole (ou il n'est pas interdit de voler ou tu as le droit de voler).
-Porte de faux témoignages (ou il n'est pas interdit de porter de faux témoignages ou tu as le droit de porter de faux témoignage).
-Convoite la femme son prochain, convoite sa maison, son champ, son serviteur (ou il n'est pas interdit de... ou tu as le droit de... )
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Je suis prêt à parier que l'antinomie qui hérisserait le plus nos compatriotes est celle qui autoriserait le vol, ou la convoitise des biens du prochain. L'autorisation de l'adultère, ma fois, ne gênerait sans doute pas beaucoup de monde, un peu plus peut-être celui de l'abandon de ses parents, et l'autorisation du faux témoignage laisserait perplexe. Bien entendu, l'idée d'avoir le droit de tuer son prochain serait repoussée avec horreur. Puis à y réfléchir un peu plus profondément, et à condition de le vouloir, on conviendrait qu'il y a un  étroit rapport entre ces divers commandements, la convoitise entraînant la violence et le meurtre, le vol pouvant conduire à ne pas honorer ses parents mais à les dépouiller, ne pas honorer ses parents pouvant conduire à leur mort (ah ! cette fameuse canicule pendant laquelle des milliers de vieillards ont été abandonnés par leur enfants, sont morts et ont vu leur mort imputée à l'inertie des pouvoirs publics. J'ai trouvé ça abject... ).
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J'ai bien conscience de ne répondre que très partiellement à Yves. Et je lui accorde absolument que les droits de la conscience éclairée sont supérieurs à ceux des Etats. Il y a des hommes qui sont morts pour suivre les obligations que leur dictait leur conscience, et avoir refuser d'obéir à des lois injustes, suivant en cela le fameux exemple d'ANTIGONE. Mais une conscience peut-elle être éclairée par les seuls mouvements de l'histoire et de la société ? C'est un problème trop grave pour qu'on le traite - ce qui n'est pas le cas de cet ami - à l'aune des intérêts électoraux et de l'idéologie, d'autant plus que la norme positive indépendante de la morale naturelle (revendication des laïcards, de ces groupes  que l'historien Augustin COCHIN (trop tôt disparu) appelle les sociétés de pensée, et de la majorité en place) donne des pouvoirs exorbitants et totalitaires à ceux qui sont chargés de la définir, tout en y échappant en tant que législateurs réunis en corps (toujours au-dessus de la loi, paraît-il ! Ça semble assez vrai !).
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C'est tout pour aujourd'hui

2 commentaires:

Roparzh Hemon a dit…

Cher auteur,

à vrai dire, le décalogue le plus commun aujourd'hui est un décalogue
atténué. C'est ce qu'a si bien vu La Fontaine dans la fable de la peste des animaux.
Gary North propose le décalogue suivant (je cite de mémoire) :

- Tu ne voleras pas, excepté par vote ou consensus démocratique.
- Tu ne tueras pas, sauf si ton État te propose des prétextes vraisemblables en temps de guerre ou dans la lutte anti-terorrisme.
- Tu ne commetras pas d'adultère, mais ta Constitution te garantira néanmoins le droit au divorce.
- Tu ne feras pas de faux témoignage, sauf si c'est pour la bonne cause.
-Tu ne convoiteras pas les biens de ton prochain, sauf si ton prochain est dans une catégorie sociale qui paie proportionnellement plus d'impôts que toi.


Amicalement,

E. D.

Philippe POINDRON a dit…

Très cher Roparzh Hemon, c'est exactement cela que je veux dire, et je le dis moins bien !
Nous avons la conscience élastique, et nous allons en crever !
Bien amicalement.