mercredi 16 novembre 2011

Idéologie

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Il y a quelques jours, j'expliquais à un ami la différence entre un conservateur et un réactionnaire. Il vous souvient sans doute que j'avais évoqué le caractère fondamentalement conservateur des processus vitaux. Il convient donc de se demander pourquoi les idées, transformées en idéologies changent si rapidement. Dans son livre Les Dieux et les Rois, très intéressant à bien des égards, mais critiquable sur certains points, Jacques RUEFF jette une belle lumière sur ces phénomènes ; il ne le fait pas toujours de son cru. Je trouve dans cet essai une extrait tiré du livre de Pierre AUGER, L'homme microscopique. Il vaut la peine de l'écouter :
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"La conservation des caractères [dans l'idéologie] n'est pas garantie ici, comme dans les règnes vivants, par ces molécules bien définies et autoreproductrices qui se multiplient indéfiniment dans les milieux appropriés. Les espèces "idées" sont donc beaucoup moins stables que les espèces animales ou végétales ; de nombreux mutants apparaissent constamment chez les hommes qui les portent ou lors d'un passage d'un individu à un autre. [...] En conséquence toute population humaine portera généralement les représentants de plusieurs variétés d'une idée initialement introduite ou apparue. Une sélection entre ces mutants, analogue à la sélection naturelle [note du transcripteur : on sait aujourd'hui que ce concept est infondé pour ce qui est de l'évolution du vivant, et DARWIN lui-même sur la fin de sa vie, j'y reviendrai, avait radicalement modifié sa conception de l'évolution ; ce point est capital pour ce qui nous occupe aujourd'hui, car le darwinisme est au fondement de la prolifération des idéologies comme l'explique Pierre AUGER], ne pourra manquer de s'établir et ce sont les critères de cette sélection qui orienteront l'évolution résultante. De même que dans la génétique biologique, deux types de facteurs joueront : les uns internes, dépendant de la stabilité ou de la facilité de la reproduction, les autres externes ou somatiques, résultant de la sélection qui s'exerce non sur les idées elles-mêmes, MAIS SUR LES HOMMES QUI LES PORTENT EN EUX. Il en résulte une double adaptation : celle des idées aux caractères des hommes dans le cerveau desquels elles se multiplient, et celle des hommes porteurs des idées, aux milieux dans lesquels ils vivent.  [...] C'est ainsi que sont sélectionnées certaines idéologies, vigoureuses et prolifiques, qui tendent à couvrir la terre de la masse de masse des hommes qui les portent sans qu'elles TIENNENT COMPTE DES SATISFACTIONS INDIVIDUELLES de ces hommes, pourvu qu'ils prospèrent et restent toujours accueillants pour elles."
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Rappelez-vous ! J'ai souvent cité cette phrase : "Le propre de l'idéologie est d'être insensible aux sort de l'homme concret."
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Et que ce cri de C. PAVESE atteigne le profond de vos entrailles : "La plus atroce offense que l'on puisse faire à un humain, c'est de nier qu'il souffre." Toutes les idéologies, tous les systèmes de pensées qui prolifèrent à travers le monde sont hélas marqués du sceau infamant de l'insensibilité à l'autre : libéralisme, socialisme, communisme, nazisme, fascisme ont pu épanouir leurs fleurs vénéneuses parce qu'ils ne s'intéressaient pas en effet  "au sort de l'homme concret", mais satisfaisaient la volonté de puissance de leurs concepteurs, et flattaient par des promesses captieuses les aspirations de leurs partisans. Pas le moindre gramme, le moindre atome de pensée, dans ces systèmes engendrés et enfantés dans le cerveau des orgueilleux. Il faut tout reprendre à zéro. Et la tâche, hélas, est irréalisable. La seule chose qui est à notre portée est de mettre notre comportement en accord avec quelques principes simples au nombre desquels figurent la règle d'or de la réciprocité et la sensibilité empathique
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3 commentaires:

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Votre démonstration est fort intéressante cher M. Poindron. Elle n'est pas si éloignée des conceptions pragmatiques sur lesquelles je travaille en ce moment à la lumière de William James.
Toutefois, je subodore que vous cherchez à me faire réagir. Pourquoi diable, rangez-vous, à la manière de J. Chirac, le libéralisme au rang des idéologies mortifères ?
Vous savez qu'à mes yeux c'est précisément le contraire d'une idéologie. Le seul principe qu'il pose est que l'homme est libre. Et dire que l'homme est libre, c'est bien reconnaître sa souffrance (en même temps que donner tout son sens à l'espérance...)

Philippe POINDRON a dit…

Cher Pierre-Henri, j'ai vu que vous avez produit un billet sur cette question de la philosophie pragmatique (que j'aime énormémenty ; je pense à John DEWEY). je n'ai pas eu encore le temps d'y répondre. Je mets le libéralisme (et non la liberté) au rang des idéologies parce qu'il a muté comme l'indique fort justement Pierre AUGER. Et il a muté parce que des cerveaux intéressés ont vu, dans la liberté du marché, la possibilité de faire des profits indus sur le dos de l'humanité. Je trouve tout à fait scandaleux que les "marchés" (sous-entendus financiers) dictent leur loi aux sociétés et aux "nations".
Il y a eu une perversion du système. Mais je reviendrai aussi sur ce point.
Bien amicalement.

Philippe

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Et bien je vous attends avec impatience et affûte mes arguments...