mardi 8 novembre 2011

Technique et servitude

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Avant d'expliquer à mes lecteurs pourquoi il ne faut pas accepter de concurrence déloyale de la part de pays qualifiés, à tort ou à raison d'émergents, et pour compenser mes récents silences, je voudrais faire part à mes lecteurs d'une réflexion que ma chère Simone WEIL fait dans un ouvrage à tous égards remarquable, qu'elle a intitulé : Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale. Il me semble que tout honnête homme, surtout les responsables politiques, devrai(en)t lire ce livre avant de s'embarquer dans la nef de la chose publique. Après avoir livré à votre méditation ce court extrait et en prévision du prochain billet de ce jour, je ferai un très bref commentaire.
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"Nous acceptons trop facilement le progrès matériel comme un don du ciel, comme une chose qui va de soi ; il faut regarder en face les conditions au prix desquelles il s'accomplit. La vie primitive est quelque chose d'aisément compréhensible ; l'homme est piqué par la faim, ou tout au moins la pensée elle-même lancinante qu'il sera bientôt saisi par la faim, et il part en quête de nourriture ; il frissonne sous l'emprise du froid, ou du moins sous l'emprise de la pensée qu'il aura bientôt froid, et il cherche des choses bonnes à créer ou à conserver la chaleur. Quant à la manière de s'y prendre, elle lui est donnée tout d'abord par le pli, pris dès l'enfance, d'imiter les anciens, et aussi par les habitudes qu'il s'est donné lui-même. [...].

Au contraire, dès qu'on passe à un stade plus avancé de la civilisation, tout devient miraculeux. On voit alors les hommes mettre de côté les choses bonnes à consommer, désirables, et dont cependant ils se privent. On les voit abandonner dans une large mesure la recherche de la nourriture, de la chaleur et du reste, et consacrer le meilleur de leurs forces à des travaux en apparence stériles. A vrai dire, ces travaux, pour la plupart, loin d'être stériles, sont infiniment plus productifs, car ils ont pour effet un aménagement de la nature extérieure dans un sens favorable à la vie humaine ; mais cette efficacité est indirecte, et souvent séparée de l'effort par tant d'intermédiaires que l'esprit peine à les parcourir ; elle est à longue échéance, souvent à si longue échéance que seules  les générations futures en profiteraont ; alors qu'au contraire la fatigue exténuante, les douleurs, les dangers liés à ces travaux se font immédiatement et perpétuellement ressentir. Or chacun sait par sa propre expérience combien il est rare qu'une idée abstraite d'une utilité lointaine l'emporte sur les douleurs, les besoins, les désirs présents. Il faut pourtant qu'elle l'emporte dans l'existence sociale, sous peine de retour à la vie primitive."
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Et, après avoir analysé la complexité des travaux humains modernes, la nécessaire division des tâches qui en est la compagne importune et obsédante, la parcellisation des responsabilités, la déshumanisation qui souvent accompagne ce processus lié au progrès technique, Simone WEIL ajoute (ce qui est capital pour comprendre l'erreur anthropologique fondamentale des doctrines socialistes) : "Plusieurs esprits humains ne s'unissent point en un esprit collectif, et les termes d'âme collective, de pensée collective, si couramment employés de nos jours, sont tout à fait vides de sens."
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Pour faire bon ménage avec ce qu'il est convenu d'appeler "le progrès", dont, faute d'en avoir peser les conséquences, on ne mesure pas toujours la nocivité (car le "progrès" est un concept lui aussi vide de sens ; il est en réalité fait de l'accumulation de myriades de petits ou de grands changements dans tous les domaines qui intéressent la vie humaine ; et on confond souvent "progrès" et "nouveauté"), il faut penser, et passer du monde existentiel utilitaire au monde existentiel moral, pour ne pas parler du monde existentiel transcendant, évacué depuis longtemps de la conscience de nos dirigeants et de l'espace public. Nous en sommes loin. Pour l'instant, l'homme contemporain est réduit à l'homo economicus, au consommateur que les promoteurs du marketing font rentrer dans des cases socio-économiques prédéterminés de façon à optimiser les profits de ceux qui ont commandités les études de marché. Il me semble qu'il faut interroger sérieusement la notion de "croissance" et qu'il est urgent de mettre en usage un appareil qu'il y a quelques années j'ai proposé d'appeler le "bonheuromètre". S'il existait et qu'on eût valider scientifiquement les items servant à la mesure du bonheur, je pense que nous aurions des surprises.
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A tout à l'heure.
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1 commentaire:

tippel a dit…

http://dotsub.com/view/01ad2718-073c-474a-ac40-c7a72e199d55
Un reportage de RTL Allemagne sur de petits futés de la politique.