jeudi 1 novembre 2012

Une lettre du Pr Costentin à monsieur Peillon

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Docteur Jean Costentin


président du Centre National de Prévention

d’Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies

C.N.P.E.R.T.

Mail : jeanhenri.costentin@orange.fr

le 24 octobre 2012

Lettre ouverte à

Monsieur le Ministre de l’Education Nationale

Monsieur V. Peillon

Monsieur le Ministre

Engagé depuis près de 15 ans dans d’éreintantes actions de prévention contre l’usage

du cannabis (et d’autres drogues) auprès de nos adolescents, de leurs parents, de leurs

éducateurs, des personnels de santé (conférences, articles, livres, émissions radio et T.V.,

animation du CNPERT), je suis atterré par vos déclarations entrouvrant la porte à la

dépénalisation / légalisation du cannabis.

J’entends déjà dans les diners familiaux des « tu vois papa, c’est rien le cannabis,

notre ministre vient de le dire, et plein d’autres personnes disent comme lui »….

Dans notre pays, qui consacre tant de moyens pour l’enseignement (plus que

l’éducation) de ses jeunes, laisser filer la consommation du cannabis en se privant du

caractère dissuasif de l’interdit serait une erreur historiquement grave. Cette interdiction doit

bien sûr, spécialement auprès de la génération « why » (Y), être justifiée, explicitée ; ce que

les programmes scolaires omettent de faire ou font de façon très insuffisante. La bastille la

plus hermétique que j’ai rencontrée pour expliciter les dangers de cette drogue fut celle des

I.U.F.M. C’est une des explications des chiffres record de la consommation de cette drogue,

faisant de nos jeunes, parmi les 27 états membres de l’Union Européenne, ses plus gros

consommateurs. Cela n’est peut être pas sans relation avec le dévissage de notre classement

européen en matière de performance éducative. La Suède qui, de la maternelle à l’université,

dispense près de 40 h d’enseignements sur les toxicomanies peut s’enorgueillir d’avoir une

proportion de toxicomanes 10 fois moindre que celle de la moyenne européenne.

Nombre d’enseignants, confrontés au cannabis, vous diront que sous l’empire de cette

drogue leurs élèves sont incapables de tirer profit de l’enseignement qu’ils leur prodiguent.

Comme il m’arrive de l’exprimer trivialement : « Pétard du matin, poil dans la main ; pétard

du soir, trou de mémoire ». Beaucoup plus doctement, une très récente publication des

P.N.A.S. a relaté une perte de près de 8 points de Q.I. chez ses usagers.

Le cannabis est la drogue de la sédation, de la défocalisation de l’attention, du

renoncement, de la résignation, du syndrome amotivationnel, de l’échec, du décrochage

scolaire, de la marginalisation. Il est la porte d’entrée dans d’autres toxicomanies ; il induit

délire (rêve éveillé), hallucinations, perturbations mnésiques, anxiété, dépression, quand il ne

provoque pas d’accès psychotiques ou, pire, ne décompense une vulnérabilité à la

schizophrénie (dont 10% d’entre nous pourraient être porteurs).

Dans la compétition mondiale à laquelle nous sommes affrontés, le cannabis est le

psychotrope de nature à nous la faire perdre. « Il n’est de richesse que d’Hommes », en bonne

santé physique (or le cannabis est toxique pour de nombreux organes) et psychique (j’ai

évoqué plusieurs de ses méfaits). Il ne saurait être un outil de la « refondation scolaire »

annoncée. Son association avec l’alcool, déjà si présent chez nos jeunes, est

extraordinairement détériorante, en particulier sur la route. Associé au tabac il rend encore

plus difficile le fait de s’en affranchir. Ce tabac, présent si précocement chez nos jeunes,

constitue la première cause de morts évitables ; or le cannabis y ajoute son importante toxicité

intrinsèque, générant davantage d’oxyde de carbone et produisant 7 fois plus de goudrons

cancérigènes...

Je me tiens, Monsieur le Ministre, à votre disposition pour détailler auprès de vous et

de vos conseillers ces points majeurs de santé publique, dans l’espoir de vous faire regretter

cette déclaration, propre à annihiler les maigres résultats de nos efforts de prévention ; cette

déclaration que nous sommes un certain nombre à trouver totalement déplacée.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre de l’Education Nationale, mes plus

respectueux sentiments.

Docteur Jean Costentin

Professeur émérite

Directeur de l’unité de Neuropsychopharmacologie CNRS (1984-2008)

Membre titulaire des Académies Nationales de Médecine et de Pharmacie

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