mardi 21 mai 2013

Il faut inventer le bonheuromètre

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Les médecins, notamment les neurologues, ont inventé un appareil auquel ils ont donné le nom de "doloromètre" ou "dolorimètre". Dans certaines formules, on demande aux patients qui se plaignent de douleurs, de graduer celles-ci sur une échelle de 1 à 10, ce dernier degré étant le plus élevé. Dans d'autres, le médecin utilise un appareil faisant pression sur les zones douloureuses, et il mesure la pression à laquelle la douleur est perçue. Bref, il est possible de la mesurer d'une façon un peu objective (nombre de dolorimètres évaluent mécaniquement la douleur). Il est évident que dans son appréciation, il intervient un élément subjectif. Certains patients, très résistants, supportent des seuils de douleurs qui sont perçues comme intolérables par d'autres. Du reste, il n'y a probablement pas que des éléments subjectifs qui rendent compte de ces différences, mais peut-être également des éléments objectifs, comme le degré d'innervation sensitive, par exemple. Ce qu'il est important de noter, c'est qu'il est possible de faire évaluer la douleur subjectivement et objectivement, et qu'il y aurait intérêt à mettre au point un dolorimètre purement subjectif.
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Je rêve d'un appareil que l'on appellerait le "bonheuromètre". Il ne servirait qu'à mesurer cet aspect très personnel de notre vie que l'on appelle le bonheur. KANT voit dans le bonheur "la satisfaction de toutes nos inclinations, tant en extension, c'est-à-dire en multiplicité, qu'en intensité, c'est-à-dire en degré, et en protension, c'est-à-dire en durée" (In Critique de la raison pure. Method. transc., chap. II, 2e section ; cité par LALANDE dans son Dictionnaire technique et critique de la philosophie, 4e édition. Tome I, article bonheur. Quatrième édition. Félix Alcan Editeur, Paris, 1938.) LALANDE critique avec pertinence cette définition et il y substitue, avec d'autres philosophes, celle-ci que je propose d'adopter pour le billet de ce jour : "Le bonheur est un état de satisfaction complète qui remplit toute la conscience".
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Je vois dans cette dernière définition une limite : elle ne s'intéresse qu'à l'instant. Et l'instant n'a pas d'existence, aussitôt né, aussitôt rejeté dans le passé. KANT a raison de parler de durée. Car il est impossible d'avoir un état de conscience durablement satisfait. Je proposerai donc que le bonheuromètre mesure le degré de bonheur moyen ressenti par une personne dans des conditions bien définies. Pour éviter des biais importants, il conviendrait en effet (a) d'aider à l'évaluation de ce sentiment de bonheur par un questionnaire ; (b) de limiter l'évaluation du bonheur moyen à une période définie de temps, quitte à procéder à plusieurs mesures, portant sur plusieurs périodes de temps de la vie du sujet.
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"Qui nous fera voir le bonheur ?" dit le Psaume 4, verset 7. Il est évident que JÉSUS appelle l'homme au bonheur. Le paradoxe de cet appel est qu'il nous oblige à passer par la croix. Muni d'un bonheuromètre, et dans les conditions succinctement définies plus haut, je pense qu'il y aurait une expérience de sociologie, d'anthropologie,  de psychologie, de théologie et de pastorale à réaliser ; elle consisterait, muni de cet appareil, à interroger deux séries de personnes sociologiquement représentatives de la population française, les unes chrétiennes pratiquantes, les autres n'appartenant pas à cette catégorie (quitte après à affiner l'enquête en subdivisant cette deuxième population en athées, agnostiques, musulmans, juifs, autres, etc.). On serait très surpris du résultat. Je fais l'hypothèse que le degré de bonheur (même en présence de "croix") serait infiniment et significativement plus élevé chez les chrétiens. Je proposerais ensuite que l'on refît la même expérience sur des populations plus restreintes (adolescents ; jeunes adultes ; jeunes couples ; etc.) de façon a affiner le tableau.
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Je rêve, bien sûr. Mais je forme le vœu ardent que cette expérience soit un jour réalisée dans des conditions scientifiquement inattaquables. Respectant le jardin intérieur, ne mesurant que l'opinion de ces personnes, elle apporterait  sans doute bien des réponses sur la vanité dans laquelle baigne la satisfaction de tous les désirs, indistinctement de leur origine et de leur nature, et sur la plénitude vers laquelle tend l'homme en quête d'unité intérieure, de dépassement de la dualité du bien et du mal, et sur le point d'effleurer la lumière. Bienheureux les pauvres en esprit, bienheureux les affamés, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui sont persécutés, bienheureux sont-ils tous qui en dépit des écueils, des vents contraires, des mers déchaînées, voire des naufrages provisoires, tiennent bon le cap : la recherche du bonheur est difficile ; il n'y a pas de raccourci pour y accéder (BENOIT XVI). Et qu'on ne vienne pas nous chanter comme tant d'imbéciles bernanosiens le refrain de l'opium du peuple. Il n'est pas facile d'être chrétien aujourd'hui.
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Rendez-vous le 26 mai à PARIS. J'ai cru comprendre qu'un cortège partirait de la porte de Saint-Cloud, un autre de la porte Maillot, et le troisième à partir d'un point proche de la gare d'Austerlitz. Prenez un parapluie, un ciré, que sais-je. Car le ciel, hélas, pleure et ce n'est pas qu'une image.
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Je m'absente jusqu'à samedi soir. Reprise des billets dimanche, à moins qu'aujourd'hui, saisi d'une inspiration soudaine, je publie un second billet.

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