vendredi 7 juin 2013

Léo Strauss et le droit naturel à la soirée des Veilleurs : deuxième billet du 7 juin 2013

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Voici tiré d'un ouvrage de Léo STRAUSS, un passage qui nous a été lu avec gravité lors de la soirée organisée par les Veilleurs, le soir du 5 juin, devant l'Institut de France. Si d'aventure Elissieivna vient à lire ce billet, et si Aerelon veut bien le lire jusqu'au bout sans prévention, l'un et l'autre verront qu'au-dessus du droit positif, il y "autre chose", dont je conviens avec eux qu'il n'est sans doute pas facile à définir mais qui semble bien être au-dessus des lois. Ce passage est tiré de l'ouvrage Droit naturel et histoire, et le texte que m'a remis Madeleine, porte en sous-titre Sur le sens que nous avons en nous du juste et de l'injuste, en deçà de toute juridiction. Léo STRAUSS appartenait à une famille juive ; il a quitté l'Allemagne au milieu des années 1930. C'est le théoricien et philosophe mondialement reconnu du droit naturel.
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"Néanmoins, le besoin du droit naturel est aussi manifeste aujourd'hui qu'il l'a été durant des siècles et même des millénaires. Rejeter le droit naturel revient à dire que tout droit est positif, autrement dit que le droit est déterminé exclusivement par les législateurs et les tribunaux des différents pays. Or il est évident qu'il est parfaitement sensé et parfois même nécessaire de parler de lois ou de décisions injustes. En passant [Ndt : il y  a sans doute ici une erreur de transcription ; il faudrait lire "en posant"] de tels jugements, nous impliquons qu'il y a un étalon du juste et de l'injuste qui est indépendant du droit positif et lui est supérieur : un étalon grâce auquel nous sommes capables de juger le droit positif. Bien des gens considèrent aujourd'hui que l'étalon en question n'est tout au plus que l'idéal adopté par notre société ou notre "civilisation" tel qu'il a pris corps dans ses façons de vivre ou ses institutions. Mais d'après cette même opinion, toutes les sociétés ont leur idéal, les sociétés cannibales pas moins que les sociétés policées. Si les principes tirent une justification suffisante du fait qu'ils sont reçus dans une société, les principes du cannibale sont aussi défendables et aussi sains que ceux de l'homme policé. De ce point de vue, les premiers ne peuvent être rejetés comme mauvais purement et simplement. Et puisque tout le monde est d'accord pour reconnaître que l'idéal de notre société est changeant, seule une triste et morne habitude nous empêcherait d'accepter en toute tranquillité une évolution vers l'état cannibale. s'il n'y a pas d'étalon plus élevé que l'idéal de notre société, nous sommes parfaitement incapables de prendre devant lui le recul nécessaire au jugement critique. Mais le simple fait que nous puissions nous demander ce que vaut l'idéal de notre société montre qu'il y a dans l'homme quelque chose qui n'est point asservi à sa société et par conséquent que nous sommes capables, et par là obligés, de rechercher un étalon qui nous permettre de juger de l'idéal de notre société comme de toute autre."
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Il me semble que le raisonnement du grand philosophe ne peut être sérieusement remis en question. Qui décidera de l'étalon ? Voilà bien toute la question. Il ne me semble pas davantage que cette lecture constitue une infraction, un délit, que sais-je ? Et qu'elle est fort enrichissante pour l'esprit. Les Veilleurs, n'en déplaisent à ceux qui ne les aiment pas, rentrent dans la catégorie des Intelligents de C. CIPOLLA, telle que je vous l'ai présentée il y peu.

2 commentaires:

Claude Rochet a dit…

Leo Strauss fait partie des auteurs qui ont été mis à l'index par l'idéologie dominante, en le présentant, comme d'habitude, comme un hitlérien.
Pour le découvrir: claude.rochet.pagesperso-orange.fr/philo/strauss.html

Philippe POINDRON a dit…

Merci à vous cher Claude Rochet pour nous avoir signalé ce lien. Il est curieux de taxer d'hitlérien un philosophe d'origine juive qui a dû quitter sa patrie pour ne pas souffrir des persécutions... Grande est l'ignorance, le mensonge et l'inculture de nombre de nos contemporains !