jeudi 27 juin 2013

Nouvelles de la Résistance, ma nuit du 26 au 27 avec les Veilleurs, deuxième billet du 27 juin 2013

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J'avais préparé hier mon premier billet de ce jour en reprenant le courriel de mon neveu. Compte-tenu des graves incidents qui ont émaillé la veillée, tenue hier soir place de la République par les Veilleurs, il me semble indispensable de vous faire la relation de ce que j'ai vécu, en compagnie d'Antoine, de ses deux fils Matthieu et Charles et de 500 autres personnes, réduites, sur le coup de 2 heures du matin, à 110 (nombre de Veilleurs restés sur la Place) à quoi s'ajoutent une trentaine d'autres dont je vais vous parler.
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La soirée d'hier était consacrée à l'histoire et à la mémoire : textes superbes, commentaires de Xavier, un philosophe, et d'un historien de haute volée, Emmanuel (je ne suis pas sûr que ce prénom soit exact). Mais avant tout, lecture par Axel du discours rédigé et tenu par Madeleine à STRASBOURG, dans l'enceinte du Parlement européen. Si des responsables des Veilleurs me lisent, ce qui est toujours possible, je leur demande instamment de mettre ce discours en ligne sur leur site. On s'en souviendra longtemps. J'ajoute qu'il s'agit d'un discours absolument fondateur.
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Sur les coups de minuit et quelque, Axel nous invite à nous lever pour marcher (Emmanuel vient d'achever de nous parler de ce qu'est l'histoire). Nous le faisons. Il ne nous dit pas où nous allons ; nous apprendrons dans quelques minutes, qu'il a l'intention de nous conduire sur la place de l'Hôtel de Ville. Nous progressons de quelques dizaines de mètres vers l'Ouest de la Place. Un étroit cordon de gendarmes nous barre la route. qu'à cela ne tienne, nous nous efforçons de traverser le début du boulevard Saint-Martin à hauteur de la Rue Meslay et de la Rue du Temple. A la suite d'une désorganisation du service d'ordre, une partie du cortège parvient à traverser le boulevard, mais est bloquée par un cordon de gendarmes. De notre côté, pensant que si nous sommes retenus du côté du tertre de la Place, c'est pour nous ne traversions que quand le feu passe au rouge, et donne la voie aux piétons, nous attendons. De ce fait, nous empiétons un peu sur la chaussée (d'où nous avions été un peu repoussés sans violence mais sans ménagements). Mais on nous repousse alors définitivement vers le terre-plein et j'entends un gradé exprimer sa peur qu'il n'y ait un accident en raison du flux des voitures. Que faire ? De part et d'autre du Boulevard nous nous asseyons. Il doit être environ 1 heure du matin, peut-être un peu plus. Grâce au ciel, l'autre groupe a réussi à emporter une sono, et Axel peut donc communiquer avec lui. Lecture de textes superbes. Il semble qu'il y ait des négociations avec le directeur de cabinet du Préfet de Police. Je vois un homme en veston, chemise ouverte, sans cravate, l'air un peu fatigué, et hagard (c'est qu'on ne lui a pas appris à l'ENA ou ailleurs comment faire avec des non violents), et il me semble bien que c'est lui, le DIRCAB dudit Préfet. Axel nous assure que nous pourrons sans doute marcher vers l'Hôtel de Ville. Vers 1 h 30, nous voyons arriver un bus de gendarmerie qui se gare Rue du Temple à hauteur de l'autre groupe, puis nous voyons un commissaire (tout à l'heure j'en verrai deux) muni d'un porte-voix, ceint - comme la loi l'y oblige - d'une écharpe tricolore, faire les sommations au groupe dont nous sommes séparés. Axel, imperturbable, et lisant ou faisant lire des textes (en ponctuant chaque lecture d'un "Je continue" résolu) tous plus superbes les uns que les autres, met en avant les droits de la conscience et nous continuons avec lui, assis, de manifester notre refus non violent et définitif de la violence qui nous est faite.
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A ce moment, nous voyons qu'une trentaine de Veilleurs, pris dans les derniers rangs de l'autre groupe, et donc parfaitement au hasard,  est embarqué, illégalement dans le bus. Les avocats qui nous aident affluent. Discussion avec Axel. Ceux des Veilleurs de l'autre groupe qui n'ont pas été embarqués restent assis. Des deux côtés nous sommes étroitement encerclés par un cordon de gendarmes et il nous est impossible de partir. Toujours des textes, toujours le chant de l'espérance. Un commissaire, son porte-voix et son écharpe tricolore vient nous faire les sommations d'usage. Certains Veilleurs quittent le groupe, car ils travaillent et il faut bien qu'ils dorment. Le gros de notre groupe reste sur place. Le bus part pour la rue de l'Evangile. Nous, nous ne bougeons pas d'un pouce. Un commissaire bon enfant, au ton de grand père, après les sommations précédant l'usage de la force, nous indique qu'il suffirait de déclarer nos prochains rassemblements à la Préfecture pour qu'ils soient encadrés par les forces de l'ordre (il semble me souvenir qu'il a utilisé le mot "aider à organiser"), nous indique que notre manifestation (qui est encore un rassemblement puisque nous ne bougeons pas et pour cause), mais nous ne voulons pas que notre mouvement ait quelque chose à voir avec des responsables qui utilisent illégalement la force. Axel reste inflexible. Nous ne partirons que quand tous les embarqués seront ramenés en bus sur les lieux d'où on les a fait monter dans ce dernier. Vote à l'unanimité : nous resterons. Nous apprenons que certains embarqués ont accepté de signer un papier "d'aveux" de participation à une manifestation illégale (il me semble bien que c'est le mot utilisé, et non pas "non autorisée"). Un avocat indique qu'il ne faut pas signer ce papier. Grâce aux téléphones portables, nous parvenons à prévenir ceux qui ne l'ont pas encore signé (dont on refuse de leur donner copie) et que l'on menace, de ne pas le faire. Petit à petit par groupe de cinq, les embarqués sont libérés, et Axel essaye d'organiser leur transport vers la Place de la République. Il reste absolument inflexible et indique que nous ne bougerons pas tant que nos amis ne seront pas avec nous. Flottement dans les forces de l'ordre. Nous acceptons d'être embarqués à notre tour après un vote unanime à main levée. Et il est évident que l'hypothèse a été envisagé en haut lieu, et non moins évident que le commissaire de police a dû faire pression pour qu'il n'en soit rien. Dans notre groupe, je vois un homme d'une quarantaine d'année, portant une barbe et le chapeau à bords plats des juifs pieux, assis par terre, profondément intériorisé. Cher frère juif, merci pour ta présence ardente, celle du frère aîné dans la foi pour ceux d'entre nous qui sommes chrétiens.
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Calme, détermination, maîtrise de soi de nos deux groupes. Le recours à la force a fait long feu. L'injustice et la bêtise du Préfet de Police et de ce Gouvernement éclatent au grand jour. Après avoir tergiversé, le commissaire accepte que le groupe de la Rue du Faubourg du Temple (49 Veilleurs) rejoigne notre groupe (61 personnes). Le cordon de gendarmes s'écarte alors vers le centre du terre- plein, et il écarte aussi avec rudesse un jeune contre-manifestant noir qui ne semble pas être à jeun ; nous entendons quelques injures du genre "à bas les culs coincés" (c'est nous ; moi j'aurais dit plutôt "les culs endoloris"). J'entends une voix, est-ce celle d'un gendarme, s'adresser à un des excités en lui disant : "Vous n'avez pas honte ?". Nous apprenons enfin que nos amis sont tous sortis et qu'ils ont regagné ou regagnent leur domicile.
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Voilà, comment au pays des Droits de l'Homme, on confond les genres (c'est vraiment le cas de le dire). Ils voudraient faire de nous des enragés, qu'ils ne s'y prendraient pas autrement. Mais nous ne jouerons jamais ce jeu-là. Résistance non violente, ouverture, culture, irrépressible détermination, beauté.
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Encore deux choses. Au début de la veillée, témoignage d'Hervé MARITON qui, en compagnie de quelques autres parlementaires a pu rendre visite à Nicolas. Il nous confirme que dans les quelques premiers jours de son incarcération on l'a mis dans une cellule sans fenêtres ni lumière, mais que depuis hier, ces conditions sont bien meilleures. Et puis cette scène : deux jeunes hommes (une vingtaine d'années) ont pu se hisser sur la place forme qui entoure la fontaine et s'embrassent à bouche que veux-tu dans l'indifférence abyssale de l'assistance. Penauds et l'air faussement ravis de leur exploit, ils nous quittent.
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Je vais me recoucher ! Je suis claqué !

1 commentaire:

Yann a dit…

Connaissant votre intégrité, votre implication et votre amour pour notre pays mon cher Philippe, je suis très peiné de ce qui vous est arrivé !
La liberté d'expression, d'action et de vivre se réduit à peau de chagrin au fur et à mesure que les Présidents et les Gouvernements se succèdent.
Le musellement devient insupportable en France à tel point qu’il est plus prononcé que dans certains pays communistes !
Pays des Droits de l’Homme ? Liberté, Egalité, Fraternité ? La France bafoue ses propres valeurs au profit de minorités influentes (religieuses ou non) et suite à la rédaction de programmes présidentiels aussi farfelus que dangereux pour notre pays et son peuple.
Quel tristesse !